Après Reality Bites, une comédie douce romantique générationnelle, Ben Stiller réalisateur change radicalement de cap pour livrer une comédie déjantée et décalée,
entre grotesque et violente acidité,
avec un Jim Carrey plus en forme que jamais.
Gros numéros de harcèlement, adeptes de la finesse s’abstenir !
Suite à une rupture sentimentale, Steve s’installe dans un nouvel appartement et attend impatiemment le gars du câble pour se vautrer lamentablement dans le canapé et pleinement profiter de sa télévision. Le gars du câble, c’est justement Jim Carrey, maniéré à souhait et totalement allumé, qui s’incruste rapidement dans la vie de son client et profite ainsi d’une vitrine d’une heure et demi pour faire le show et partager
une infinie collection de grimaces.
Sans être d’une inventivité débordante, la mise en scène de Ben Stiller et la photographie de Robert Brinkmann enveloppent le récit dans une atmosphère réaliste aux accents dramatiques qui contraste avec les numéros de comédie déjantée du comédien principal. Narrativement, le réalisateur tient son film, sait le rythmer judicieusement à travers ses propres apparitions dans le petit écran – lors de reportages sur le procès qu’il subit, accusé d’avoir tué son frère jumeau – et l’agrémenter de mémorables séquences au grotesque assumé : d’une partie de basketball musclée à un karaoké habité, en passant par un improbable duel médiéval, Jim Carrey se roule par terre, grimpe sur ses partenaires, gémit, hurle et zozote, tandis que la caméra l’accompagne, joue l’exagération du mouvement, et danse autour de l’agilité déroutante et de la souplesse démente du comique. La mise en scène colle au personnage autant qu’au récit, et les dialogues viennent délicieusement ajouter à l’absurde de situations, entre
rire gras et angoisse cynique.
Tu sniffes de l’herbe ?
Autour du comique à grimace, Matthew Broderick nourrit les traits anxieux de la victime harcelée avec justesse, loin des exagérations visuelles de son collègue, sans jamais trahir les irrépressibles fous rires intérieurs qui l’envahissent assurément, tandis que Leslie Mann incarne une très belle, magnifique, ingénue – à se pâmer, voire à se damner – avec la légèreté requise. La jeunesse de Jack Black dans un rôle relativement discret, charme déjà avec une présence incroyable : le mec bouffe l’écran avec un seul regard et deux mots.
Conscient des faiblesses et des limites de la comédie, le scénario passe
du harcèlement grotesque au polar cauchemardesque
dans un final peu original mais parfaitement amené par une réalisation qui le prépare depuis le début du film pour venir souligner, message paradoxal, les dangers du biberonnage télévisuel pour les esprits faibles et abandonnés.
Ben Stiller signe une comédie aussi décalée et disjonctée qu’intelligente avec une maîtrise contenue du langage cinématographique, il laisse son comédien faire le spectacle tandis qu’il s’occupe de garder la ligne narrative claire, emmenant doucement le spectateur du rire gras et imbécile vers plus de sentiments autant que vers une
réflexion légère sur l’avilissement intellectuel et l’abandon de l’esprit à la machine à décérébrer.
The Cable Guy n’est certes pas un chef-d’œuvre, mais dès son second long-métrage derrière la caméra, Ben Stiller prouve que l’envie n’est pas un caprice et qu’il a les moyens de développer un projet avec intelligence et une finesse toute personnelle.