Du fil à retordre
Du fil à retordre

Documentaire TV de Anne Gintzburger (2018)

Au fil des Vosges, une image d'Epinal ?

Ce film-documentaire était programmé juste après le film-série "Aux animaux la guerre" et la réalité s'avère bien meilleure que la fiction...
Anne Gintzburger est journaliste et s'est tournée vers la télévision où elle a notamment travaillé pour Envoyé Spécial. Il me semble me souvenir qu'elle a travaillé pour le journal "La Voix du Nord". Mais elle excelle aussi désormais dans des documentaires qui se vivent comme des films. Entre autres, elle nous a déjà fait vivre la fermeture des Levi's dans la petite ville du nord de La Bassée, mais aussi la lutte des ouvriers de Florange hélas vaine. Elle a posé ici ses caméras à Vagney (Vosges) où une petite usine textile semble résister à l'envahisseur mondialiste du textile.

Une industrie qui est un grand naufragé de l'emploi ! Il a commencé dans les année soixante avec la disparition à Roubaix et Tourcoing, ses bastions les plus importants, de la production lainière, de ses métiers à tisser, teintureries, carderies, ateliers de piqûrage, d'épluchage, de stoppage des défauts de tissages... A Roubaix, il y avait des cheminées d'usines dans presque chaque rue de la cité, dont les suies peinaient à traverser le brouillard pour retomber sur les pavés... Le temps n'était pas à l'écologie et la pollution devait être bien pire à celle d'aujourd'hui. Le long de ces usines s'agglutinaient des courées avec des maisons sans confort, alignées chichement les unes près de autres pour en accoler un maximum, avec parfois un WC et un robinet communs extérieurs pour une trentaine d'habitations (parfois plus) Pour loger des habitants qui s'efforçaient d'habiter au plus près de leur lieu de travail ...
C'était l'époque de noms célèbres du textile comme Prouvost, Masurel, Flipo, Mossley, Boussac,Tibergien, Lepoutre (...) et de VPC comme La Redoute, les Trois Suisses, La Blanche Porte, Phildar (...) bref quantité de noms aujourd'hui quasi disparus comme Boléro, le Pingouin, Rodier...Le marché de l'emploi était florissant et attirait "les filles des mines" (Pas de Calais) mais aussi nombre de transfrontaliers belges qui ont fini par faire souche en France (J'en suis)
Il y avait encore Damart qui lui résiste, mais l'empire textile a été complètement balayé par les débuts du mondialisme... Dans le secteur de la chaussette, il y avait aussi Olympia, Dim, et la plus connue Stemm (groupe La Lainière fermée à tout jamais en 2000) qui dut sa notoriété à la suite d'un accord du lainier avec Barclay, éditeur de disques qui lança Eddy Mitchell et ses "chaussettes noires" aux débuts des années yé-yé. Le chanteur ne savait d'ailleurs pas que son groupe allait être rebaptisé de la sorte et la pub de l'époque aura profité aux deux !
Les Vosges ont vécu le même drame mais aujourd'hui l'un d'eux résiste à l'envahisseur : Bleuforêt qui lui aussi était spécialisé dans la chaussette. L'entreprise a regroupé les activités DIM après que la marque ait été rachetée par le groupe américain Sara Lee qui finit, faute de rentabilité par fermer l'usine.
Bleuforet pour enrayer cette diminution du marché français de la chaussette malgré une qualité sans faille, a investi un million et demi d'euros pour acheter de nouvelles machines et relancer en 2017 la production de collants hauts de gamme... Les 239 ouvriers de l'usine (effectif 2016) ont pu pousser un ouf de soulagement quand cette relance a été décidée : Le bourg de Zainvilliers, commune de Vagney, ne vit en effet que pour, par, et autour de Bleuforêt dont la marque bleu-blanc-rouge souffre d'un déficit de communication. Le rodage des nouvelles machines destinées à fabriquer les collants ne s'est pas fait sans mal : au contrôle de fabrication, nombre de pièces étaient réformées car les tissus comportaient des trous et l'intervention des mécaniciens du textile était fréquente... Le professionnalisme des ouvriers, peut-être une certaine forme de solidarité ouvrière semble avoir eu raison des difficultés du lancement, mais en même temps, les employés vivent toujours avec cette crainte du chômage qui plane toujours sur leurs têtes comme une épée de Damoclès... D'autant que les hypers, clientèle essentielle de Bleuforêt, doivent subir de leur côté des baisses de fréquentation et de chiffre d'affaires du secteur textile.
Mais les carnets de commandes semblent remonter... C'est toute cette belle quoique incertaine aventure que nous raconte Anne Gintzburger à la façon d'une saga presque familiale de ces ouvriers qui se serrent les coudes pour que leur gagne-pain vive Elle nous montre aussi à travers Manu qui les a connues, les vestiges d'autres entreprises textiles qui elles ont toutes fermé. Au pied de l'une d'elles, une cheminée dont les briques sentent encore la suie et à son pied, une petite rivière qui jadis contribua à sa production... Avec la précision d'un journaliste mais à la manière d'un film évoquaant des souvenirs sans tomber dans le pathos, on revit cette épopée. Superbe, sobre et attachant : à voir absolument avant d'acheter vos prochaines chaussettes ou collants !
France 3 le 15.11.2018

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Créée

le 17 nov. 2018

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