Le philippin Lav Diaz est connu pour ses films de cinq à neuf heures (comme Melancholia ou Heremias). Son Elehiya sa dumalaw mula sa himagsikan (traduit pour l'international cela donne Elegy to the visitor from the Revolution) est probablement une récréation. Sa durée s'inscrit dans la fourchette basse du format normal (80 minutes) et en fait l'un des rares bouts accessibles au néophyte. Cette première approche a le mérite de poser les choses clairement.
Trois histoires sont emmêlées pour meubler le retour au monde d'une femme du XIXe siècle. Elle semble porter un regard mélancolique sur la réalité retrouvée, logée dans les basses couches société, dans la rue ; un petit lot d'espaces dominés par l'ennui. Elle vient de l'époque où le pays se battait pour son indépendance (il réussi à affaiblir son propriétaire pour tomber dans les mains d'un autre – de l'Espagne vers les USA) et voit une centaine d'années plus tard ce qu'il reste de ce soulèvement et de ces espérances. Sacré potentiel sur le papier, ou plutôt dans l'idée du script.
Tout ce qui suit est déplorable. Elegy appartient à ce cinéma de l'extatique total, rendu à plaider la non-construction délibérée, c'est-à-dire perdu au-delà des lubies de déconstruction ; il leur préfère l'obstination à mimer le ad hoc, rester béat, en insérant de pauvres détails pour faire vibrer les impressionnistes affamés et leurrer les méditatifs complaisants. Seule la bonne volonté ou l'indifférence bienveillante entretiennent une once de mystère ou d'indulgence sur la dégénérescence accomplie du programme. Les dix premières minutes sont occupées par deux plans-séquences aux infimes variations, montrant une prostituée en train d'attendre, dans la nuit. Bruits de véhicules de temps en temps et grésillements naturels en fond.
Le symbolisme de l'eau est décoratif et insistant, au diapason de cette manière débile d'aborder la vie. La mise en scène ignore tout de ces mouvements sur lesquels elle ne sait que se languir, sans oser s'approprier et donc encore moins analyser le présent, des photos ou des objets statiques. Les bribes de dynamisme tiennent aux réactions de personnages par rapport à quelque chose hors-champ, généralement totalement inconnu – hormis le long morceau où le film paraît décoller, autour d'un mec ligoté. C'est à peu près le seul moment où les acteurs peuvent se donner ; ils livrent un espèce de théâtre fade et criard, tempéré par la piteuse sincérité des amorphes bêtes et méchants.
Le plaisir est possible face à ces scènes. Elegy a d'abord des airs de sous-documentaire reposant sur de beaux plans à l'usage de fétichistes aliénés des beaux-arts. Diaz sait fabriquer de la jolie image, de la profondeur – au sens physique du terme. Il donne de l'importance à l'arrière-plan et semble obsédé par la fuite, qu'il n'est pas l'heure de s'autoriser. L'observation à laquelle nous sommes invités est proche de l'escroquerie, la substance proche du nul, l'introspection prend toutes les garanties pour être stérile. L'inspiration de Bela Tarr (Damnation, L'Homme de Londres) est probable, le dédain de Tarkovski pourrait aussi avoir fait des émules ; cet Elegy serait un alter-ego infantile des hymnes mystiques du russe également hostile à l'activité gratifiante, à la réussite visible et à ce genre de vulgarités. Tarkovski cependant n'y préférait pas la pleurnicherie et ses accès misanthropes contenaient encore une certaine générosité.
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