First man : un questionnement sur nos héros et le sens de leur quête

"Je connaissais seulement la réussite, je ne connaissais pas tous les échecs, tous les obstacles. Je ne connaissais pas les morts, les tragédies qui appartenaient à cette histoire. Ce que j'ai découvert, c'est que la vie de Neil Armstrong était presque une vie tragique" Damien Chazelle sur Europe 1 le 14 octobre 2018.


First Man est un nouveau chef d'oeuvre de Damien Chazelle. Empreint d'une grande douceur et justesse. C'est le travail d'un artiste sûr de son art, qui n'a plus rien à prouver et qui peut proposer à présent un matériau épuré sans grands artifices mais ô combien touchant. Comme dans Lalaland Chazelle s’intéresse à une histoire qui montre qu’un succès charrie aussi son lot de tragédies. N'allez pas voir First Man pour un grand feu d'artifice spatial, Chazelle ne nous emmène pas dans une grande odyssée mais nous livre plutôt un portrait romancé « presque tragique » d'un homme au destin extraordinaire. Romancé car même si je ne connais pas sur le bout des doigts la vie de l'astronaute, je suppose ici que Chazelle n'a pas souhaité être parfaitement fidèle aux moments de vie et à la personnalité du premier homme à avoir marché sur la lune et je ne prétendrais pas être capable d'effectuer ce travail de fact checking entre la vie réelle de l’astronaute et le film.


Selon moi l'intérêt majeur du film au-delà du biopic est surtout qu'il traite de la thématique de l'anti-héros, c'est à dire un personnage central d'une œuvre qui ne présente pas certaines des caractéristiques du héros conventionnel. Je développerai ce point de vue plus loin dans la partie masquée pour cause de spoilers. Car je dois ajouter avant cela que First Man n'est pas qu'un nouveau récit sur un anti-héro. C'est aussi comme on pouvait si attendre de la part du prodige d'Harvard, une prouesse visuelle et sonore. Le film a un grain atypique au niveau de ses couleurs qui est très immersif et nous plonge d'une certaine manière dans une vision du passé emprunte de la sensibilité du réalisateur. De nombreuses scènes sont de véritables tableaux avec des jeux de lumière, des symétries des formes et des rappels de couleurs qui mettent en valeur le casting et les décors. Damien Chazelle me rappelle toujours le génie de Godard dans sa faculté à créer de tels plans. J'ai notamment en tête un plan sur la femme d'Armstrong face à une fenêtre aux grands rideaux vers les 3/4 du film. Au niveau du réalisme de l'expérience spatiale, là non plus je ne suis pas un expert mais je vois bien l'effort qui a été fait pour rendre compte du "silence éternel de ces espaces infinis". Le sound design est donc d'une très grande qualité de ce point de vue selon ma perception. Comme dans Dunkerque de Christopher Nolan les bruits sourds, les flammes et autres étincelles nous font vivre avec une grande intensité les périls des personnages. Aussi, l'intérieur des véhicules spatiaux présente un grand niveau de détails et je pense qu'un important travail a été fait pour livrer des copies les plus conformes possibles aux vrais vaisseaux. De nombreuses scènes font prendre conscience de l'extrême fragilité, et de l'étroitesse de ces tas de ferrailles aux commandes mécaniques lancés à pleine vitesse dans l'inconnu. On se rend compte qu’ils n'ont rien à voir avec les vaisseaux spatiaux majestueux munis d’ordinateurs de contrôle entrés dans l'imaginaire populaire avec les œuvres de sciences fictions. Ajoutons à cela la très bonne partition du compère de toujours Justin Hurwitz au service de la beauté du film et de son propos, et on tient donc un film qui méritait à mon humble avis toute l’attention des spectateurs.


Revenons à présent sur cette thématique de l’anti-héros. Neil Armstrong a accompli un haut-fait. Il est le premier homme à avoir marché sur la lune. Il est entré dans l’histoire. Le film nous fait comprendre que cet exploit est hors du commun car il nous montre toutes les épreuves que le protagoniste principal a dû traverser avant d’y parvenir.


Armstrong a subi des épreuves physiques et intellectuelles d’une rare intensité, a frôlé la mort à plusieurs reprises, a vu ses compagnons astronautes qui étaient pour certains d’entre eux ses amis mourir en mission. Il a également connu un drame personnel : la mort de sa fille âgée de deux ans. Mais il a persévéré, travaillé toutes les nuits et est devenu finalement un pionnier que tout le monde connait aujourd’hui. Chazelle nous décrit donc un personnage d’une persévérance hors du commun mais aussi d’un grand sang froid dans le feu de l’action en particulier durant la tourmente de la mission Gemini VIII magnifiquement mise en scène. Ce sang froid le rend « héroïque » dans l’action puisqu’il lui permet de faire des exploits : par exemple éviter la perte de connaissance et stabiliser le Gemini qui était entré dans une folle rotation en faisait preuve d’une grande ingéniosité. Mais ce sang froid le rend aussi « apathique », « insensible », « robotique » dans sa vie quotidienne. Une nouvelle fois, on a donc un Ryan Gosling qui joue la parfaite partition du mec « mutique » (pas très original pour lui diront certains). Derrière le héros au sang froid hors-norme Chazelle nous révèle donc un mari à moitié absent, un père qui répond aux questions de ses enfants avant de partir sur la lune avec la langue de bois d’une conférence de presse. Attention ici Chazelle fait preuve de nuances et nous montre qu’Armstrong n’a pas été totalement absent pour sa famille et a su garder quelques moments de complicité avec eux malgré son travail très prenant, néanmoins par ce film on voit bien qu’il était loin d’être un « héro dans son quotidien » en se révélant parfois impulsif avec sa femme et en étant souvent absent pour ses enfants. On a donc bien un anti-héros, un individu talentueux dans l’action mais loin d’être l’homme idéal dans sa vie sociale.


Une autre piste de réflexion intéressante évoquée par le film est « la quête du héros ». Que recherchait un homme qui a réalisé l’impossible ? Quelles étaient ses motivations ? Le film joue beaucoup avec ce questionnement et donne quelques pistes sans en imposer vraiment aucune au spectateur. Quelques scènes et situations m’ont particulièrement marquées à ce sujet et donnent lieu à quelques spéculations de ma part.


D’abord le côté rêveur du personnage qui regarde la lune parfois le soir avec une longue vue sans jamais dire clairement « je veux réaliser mon rêve d’enfant » ou exprimer une autre motivation plus personnelles. On sent qu’il poursuit un but mais il ne dit jamais quoi ni pourquoi, il se contente comme un bon ex-marins discipliné et nourri à la propagande de répéter ses fiches lors des conférences de presse. « Le progrès de la science », « un petit pas pour l’homme un grand pas pour l’humanité », dans ce film on sent qu’il ne croit pas profondément à ce qu’il dit, il se contente de le répéter. Pour renforcer cette idée d’impuissance à exprimer ses émotions Chazelle met en scène un contraste entre le personnage de Neil Armstrong et celui de Buzz Aldrin joué par l’excellent Corey Stoll (trop peu présent à l’écran selon moi). Ce dernier affiche clairement ses motivations dans le film, il est vraiment excité à l’idée d’aller sur la lune, il recherche la gloire personnelle : « rentrer dans l’histoire », le prestige : il veut ramener des bijoux à sa femme qui auront fait un voyage sur la lune. Quand il débarque sur la lune, il saute de partout comme rêverait de le faire un enfant pour tester la gravité tandis qu’Armstrong foule le sol timidement et se met dans une posture de recueillement. Justement la scène suivant les premiers pas sur la lune d’Armstrong peu avant les sauts de cabri de Buzz Aldrin m’a particulièrement émue et c'est de mon point de vue la scène la plus forte du film. On y voit Neil Armstrong, seul dans la bulle de son scaphandre, se recueillir face à l’immensité désertique du satellite naturel, les pieds au bord d'un cratère. Il y jette le bracelet de sa fille décédée. J’ai alors pensé à la vision de cette scène : « après avoir remué ciel et terre voilà face à quoi se retrouve le héro : une étendue de poussière grise, un ciel sombre, et le silence ». Cette idée de fatalité que nous connaissons tous à la pensée de notre mort, et qui est omni-présente dans l’art a trouvé dans ce film et ce récit d’expérience une image particulièrement saisissante. Un homme rentré dans l’histoire se retrouvant seul face à la poussière, repensant à la mort tragique de sa fille. Aussi héroïque que puisse être une existence, tout homme finira à l’état de poussière. C’est peut-être cette pensée qui saisit le personnage à ce moment-là. Ce cheminement et cette contemplation finale du vide, c’est ce qui rend le parcours de cet homme si universel et touchant. Ce "tout ça pour ça" qui nous vient à l'esprit quand on a réalisé l'irréalisable. Oui la descente est parfois difficile et le film évoque par deux scènes finales cette solitude et ce « vide de sens » qui saisit l’astronaute venant d’accomplir un exploit : la scène où l’on voit Buzz et Neil face à la TV extenué et silencieux et la scène où l’on voit Armstrong enfermé dans sa bulle de quarantaine face à sa femme tendant sa main à travers la vitre.


Pas très joyeux comme conclusion je vous l’accorde mais c’était bien le projet comme pouvait le laisser supposer l’affiche du film sur laquelle est représentée le visage de Ryan Gosling encerclé par un scaphandre et la lune en arrière-plan avec le regard plongé dans le vide. J’y ai vu la figuration d’une bulle et de la solitude du personnage. Je vous rassure on ne sort pas complètement déprimé de ce film, on est aussi en partie galvanisé par l'exemple de ces héros mais tout de même c'est bien un film "presque tragique" pour faire écho à la citation de l'introduction. Pour conclure (vraiment cette fois) je vous recommande donc vivement ce film, peut-être trop vite décrié comme un film monotone, gris, dans lequel il ne se passe rien. Promis la prochaine fois je ferai une critique plus joyeuse, et pour finir sur une note plus légère je vous suggère de voir dans la foulée « le grand bain » ça fait du bien après une conclusion si pesante !

SébastienMagne
9
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le 4 nov. 2018

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