Le cinéaste Takashi Ishii réussit le péri d’aborder la thématique du viol et de ses conséquences sur le vie d’une victime, ici Chihiro, sans tomber dans la complaisance et le mauvais goût. En effet, le cinéaste ne désire à aucun moment profiter de cette agression pour justifier les agissements vengeurs de Chihiro. Il centrera tout son récit du point de vue de son héroïne qui désire avant tout faire une croix sur son passé et commencer une nouvelle vie à Tokyo, loin de chez elle. Mais la fuite n’est pas le chemin à suivre pour oublier un tel traumatisme …
Occultons pendant quelques temps cette thématique douloureuse pour nous centrer sur la technique le temps de deux paragraphes. Cette facilité qu’a Takashi Ishii à construire ses scènes et ses plans est vraiment impressionnante. 90 % de l’intrigue se déroule dans deux appartements et jamais il n’utilise les mêmes angles de vues et cadrages. Cette incroyable créativité se ressent dans chacune des minutes qui s’écoule, car on ne s’ennuie jamais. Le film regorge de plan séquence, gros plans ou de mouvements de caméra simple et efficace, et tout s’enchaîne avec une cohérence assez hallucinante sans délaisser le personnage principal qui prépare maladroitement sa vengeance quand débarque chacun à leur tour ses anciens tortionnaires dans son appartement à Tokyo.
Les agresseurs, qui refont surface, illustrent le souvenir latent de la victime qui voulait absolument laisser cette expérience traumatisante loin derrière elle, et ainsi commencer une nouvelle vie. Mais la belle Chihiro n’aura pas cette chance et verra débarquer chacun à leur tour ses bourreaux qui se sont tous donner rendez vous chez elle mais ne se croiseront que dans la mort. A leur arrivée, Chihiro fera à nouveau table rase avec son présent, changeant de travail puis d’appartement, mais sera aussi largué par son petit copain (apprenant son histoire, il la rejette car elle est souillé …). Elle espère une fois encore s’échapper de son passé. Mais il n’en sera rien. Elle déploiera alors toute son énergie pour se débarrasser de ses tortionnaires … et de ses démons intérieurs.
Chacune de leur entrée est effrayante. On attend ensuite avec impatience le plan improvisé que l’héroïne développera pour détourner l’attention du squatteur et se débarrasser de lui de manière peu orthodoxe. Avec un simple montage alterné, le cinéaste joue avec nos nerfs sans jamais nous décevoir dans la résolution de ses scènes, en témoigne la scène du troisième meurtre ou Chihiro donne un casque audio à la future victime pour détourner son attention et la tuer par derrière à coup de marteau. Il s’agit de toutes petites idées mais ça fait mouche à chaque fois. Elles font au passage aussi oublier la petite faiblesse du scénario. Cette imagination débordante, ou la violence la plus extrême (mais sans jamais verser dans le gore) flirte assez souvent avec la comédie, donne une crédibilité et une dimension dramatique assez consternante au métrage. C’est d’ailleurs très clairement le ‘genre’ auquel il emprunte le plus.
Ishii traite son sujet avec un sérieux assez insultant car jamais il ne se complaît dans la violence justement, contrairement à beaucoup de ses collègues qui n’hésite pas à faire couler gratuitement des litres d’hémoglobines par pur plaisir. Le cinéaste se soumet au réalisme et même Chihiro se retrouve toute tremblante et hésitante pour asséner les coups fatals. On sent que le sujet lui tient à coeur ; rappelons que la soumission de la femme dans la société japonaise est le sujet qui hante tous les films du cinéaste. Soulignons aussi qu’il est assez rare pour un cinéaste japonais d’être à ce point proche de son actrice. Ishii s’éloigne assurément des rape-movie ou autre revenge-movie (genre souvent glorifié sur le pays du soleil levant), en témoigne le soin constant qu’il porte à son héroïne et à ses autres personnages. Le jeu toute en nuance de Harumi Inoue impressionne par sa faculté de passer du calme à l’hystérie, sans jamais déborder dans l’excès et la démesure.
Dans son final, d’une beauté renversante, Ishii se contente de laisser parler les images et la musique, secoue notre âme et nos tripes sans nous lâcher jusqu’à la fin du générique ; il faudra bien attendre quelques minutes pour redescendre. La symbolique du geste de Chihiro en dit long sur la vision glaciale et extrêmement réaliste qu’a le cinéaste sur son pays. Freeze me dénonce à la fois ces actes barbares, ici le viol collectif, mais aussi l’impossibilité pour la victime de se débarrasser de ce traumatisme. Sans jouer les moralistes, le talentueux Takashi Ishii réussit le pari de faire un grand film avec un sujet particulièrement délicat.
Beaucoup moins frénétique qu’un Shyn’ya Tsukamoto (Testuo 1 & 2, Bullet Ballet, Tokyo Fist, etc) dans la forme et beaucoup plus subtil qu’un Takashi Miike (Dead or Alive, Gozu, Audition, etc) dans son traitement de la violence, Ishii impose un style, une démarche tout aussi honorable que ces deux compatriotes et il est assez regrettable qu’une personnalité comme la sienne soit moins populaire dans nos contrées.