C'est un très beau rôle pour Sharon Stone qui reprend en 1999, presque 20 ans plus tard, celui de Gena Rowlands en 1980. Sharon le joue à sa manière sans imiter Gena, et vraiment bien. Elle est l'attraction de ce remake du film de John Cassavetes, lequel était très original dans son fond et sa forme. Le couple qu'elle fait, une fille de mauvaise vie avec un petit orphelin pourchassé par des mafieux qui ont assassiné sa famille, et qu'elle protège au péril de sa vie, est attachant.
Hormis cette réussite de l'actrice, on est forcé de comparer le film de Lumet, à mesure qu'il se déroule sous nos yeux, avec les péripéties du chef d'oeuvre de Cassavetes.
Ce fut un des meilleurs films de John, car c'était une combinaison de création caractéristique du cinéaste et de film grand public. C'est-à-dire que Cassavetes avait tenu compte des capacités d'adaptation du public à sa narration atypique, et s'il innovait comme il le fait toujours, c'etait dans un format accessible. Certes, il disait que ce n'était qu'une commande alimentaire et que d'ailleurs il ne voulait pas le tourner. Mais là, c'était sa coquetterie : interrogé sur ses propres films, il faisait toujours des commentaires marqués d'insatisfaction ou de considérations dérangeantes, voire provocatrices pour les spectateurs, pour les journalistes et même pour ses amis proches. Gena Rowlands, quant à elle, dit dans un interview de Stig Bjorkman que c'est ce film là d'elle qu'elle emporterait sur une ile déserte. "C'est un film qui me donnerait l'impression d'être forte. Il m'aiderait à survivre".
Or le film de Lumet est bien en deçà de l'original de Cassavetes, sauf la scène d'ouverture, qu'il reprend presque plan par plan. Cette famille coincée dans son appartement du Bronx qui va être abattue toute entière fut en 1980 un choc dans le film de Cassavetes : une mise en scène à couper le souffle de la panique interactive et frénétique qui saisit mari, femme, grand-mere et enfants quand ils comprennent ce qui va leur arriver. En 1999, Lumet, qu'on sent très respectueux du talent de Cassavetes, essaye de lui rendre hommage plus que de faire mieux dans la séquence homologue. On ne lui tient pas rigueur pour ce passage qui démarque de près son modele.
En revanche, les scènes suivantes avec les mafieux sont, dans le film de Lumet, grises et plates, presque laides, quand celles de Cassavetes avaient un côté coloré et foutraque, bien que véristes, faisant état des hésitations, de la bêtise et de la méchanceté des truands. Elles étaient traversées par les éclats de violence salvatrice du personnage joué par Gena Rowland. L'actrice montrait dans ce rôle un mélange de pathétique et de puissance renversant. Cela nous captivait, nous clouait sur notre fauteuil : nous étions très émus et nous trouvions cela très beau.
Malgré tout, le grand talent de Lumet apparait dans quelques scènes avec Georges C. Scott, qui joue le boss mafieux Ruby. Ce sont de veritables "apparitions", courtes, où l'acteur et le réalisateur font une création superbe d'un personnage dangereux, antipathique et fourbe. (Agé de 72 ans, l'acteur mourra cette même année 1999 d'une rupture d'anévrisme abdominal).
Il est heureux que Lumet ait réalisé ce remake car il injecte de la mémoire créative du cinema pour les nouvelles générations d'acteurs et de spectateurs.