Bad Boy Bubby version Kevin customisé

C'est un genre de pop-corn Strip-Tease à la sauce Enquête exclusive (ou n'importe quel autre magazine télé avec forces de l'ordre ou du désordre et dramatisation outrée quoique sans âme ni vraie morale) dans l'époque où Drive et Spring Breakers sont des références esthétiques. La mise en scène tape à l’œil et évite au spectateur de relâcher son attention, quitte à ce qu'il se sente pris de passion. Pour beaucoup de cinéphiles, Good Times risque de passer pour une nouvelle synthèse de films ou de tentatives fortes – par exemple, il rappelle les exploits de Noé, d'Oliver Stone ou encore les opus 'blancs' de Spike Lee. Le résultat est de toutes façons plus qu'honorable : les effets sont pénibles ou lourds (la musique est corrosive et aliénante – du Oneohtrix Point Never), mais ils fonctionnent et rendent la séance efficace, intense – presque une tornade.


Le postulat est encore plus chargé que dans Les Ardennes (autre suivi d'une chute libre sur un temps court, sorti l'an dernier avec également un style 'coloré' et un défilé d'épaves et cas sociaux). Robert Pattinson incarne un délinquant prisonnier de sa fuite en avant, affublé d'un frère retardé. Son profil n'a pas été composé à moitié : c'est le débile massif, dépendant et violent, avec quatre ans d'âge mental. Le reste de la galerie est plutôt antipathique également et tend à mériter ce qui lui arrive, à cause d'un défaut d'intelligence et d'inhibition cumulés. Connie/Pattinson est un parasite, perpétuellement en demande – voire en train d'exiger. Un dominant flippé dans ses relations, pourri par son boulet de frère, par attachement et car il n'a pas le choix. Ils sont deux contre le reste du monde – ou bien un plus 'un' pour sa personne seule. Connie trouve ses renforts auprès d'autres gens entre la misère ou la mafia et la normalité. Au commencement de cette énième aventure il est lié avec une espèce de post-junkie quarantenaire vivant chez une mère possiblement répressive, elle aussi cuite jusqu'à la racine.


Avec ou sans le passage à l'acte, ces existences sont celles de camés écrasés de dettes. Le hasard s'acharne tant Connie est imprégné ; le type récupéré est un champion dans le domaine de la défonce et de l'abrutissement ultime. Ils sont dans les spirales de la déchéance, plutôt que sur une simple pente sur laquelle ils se seraient accidentés. C'est leur vocation, leur chemin tracé, dont le destin par défaut dont ils héritent (tout comme les 'petits' de partout démarrent avec la pauvreté, c'est-à-dire le niveau zéro du développement – leur défi est à la fois plus trivial et plus pénible) – et qu'ils valent bien manifestement. La mise en scène prête une certaine grâce, généralement consumériste, tragique par endroits, mais superficiellement – la volonté ne peut pas tout et l'idéal doit s'arrêter avant de gâcher un film, une expérience, une représentation. Pourtant le discours ou au moins le commentaire perce quelquefois avec les projections assertives de Connie (sa réaction face à l'intervention brutale contre une forcenée par des flics à la télé, le rangement en catégorie 'loser' de l'égaré de l'hôpital).


C'est le versant le plus random du programme. Good Times n'est pas un produit significatif socialement (il peut l'être 'existentiellement'), ou de malin démonstratif, bien qu'il semble tenté de l'être. Ce film est une expérience agitée, clinquante et sophistiquée, avec quelques scènes ouvertes en guise de synthèse, une approche intuitive et pas analytique, volonté de faire de la psychologie et du compassionnel qui est réprimée en général et exprimée dans ces moments particuliers, sous couvert d'esthétisme. En résulte une sorte de Bad Boy Bubby light, redoutant tout appesantissement, évitant de faire sentir la douleur et le sentiment de solitude, voire de les montrer, mais les glissant au tournant, à chaque fausse pause ou lorsqu'on tape devant un mur trop grand. Cette pudeur 'psychique' à côté des turbulences et de l'action apporte une contenance, des nuances de caractère et du charme au film, après son démarrage rutilant et unilatéral. La tendance à déblayer renforce son efficacité mais inclus une accumulation d'incohérences discrètes – par exemple, lorsque Connie fait s'évader son frère de l'hôpital, à tous les guichets et postes d'observation, chaque responsable a le regard ailleurs.


Il y a dans cette histoire un aspect comique 'aléatoire' en germe ou au second degré, avec les quiproquos et les 'claques' que Pattinson se prend. Connie a l'air d'une farce et il suffirait de changer le décors pour que c'en soit une et le film une comédie obèse. Ce type pollue ce qu'il approche, le pousse vers la faute, sans rien apporter en contrepartie parfois même pour lui : ses victimes n'ont pas participé à des victoires personnelles, la fréquentation ne va rien leur enseigner de positif, tout au plus gagneront-ils en conscience de la stupidité incurable de nombre de leurs prochains – ce qui dans leur situation n'apportera ni opportunités ni soulagement. Il déclenche un torrent d'absurdités inévitables si on est lui, parfaitement évitables sinon. Il croit qu'en forçant les barrages, réagissant toujours, il arrivera à ses fins – il n'est pas en mesure de saisir que c'est inapproprié car probablement pas en mesure de saisir quoique ce soit d'autre. Il n'y a que les urgences de son ego – dans un état lamentable et primitif. S'il avait une forte intelligence, le stress l'a complètement gommée. S'il avait de l'inspiration, les situations d'exception seraient des occasions de marquer quelques points – pas de quoi obtenir la reconnaissance, le pardon, mais au moins de quoi se réjouir ou se flatter. Donc il fonce dans ses embrouilles, un peu comme une mégère contestataire mais toujours fidèle au poste. Dans un autre quartier du monde, elle joue le même rôle. Dans le coin présent, il est une variante améliorée (ou pas encore bestiale et zombie), de Boy A.


https://zogarok.wordpress.com/2018/01/05/good-time/

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le 17 déc. 2017

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