Le Corps humain est constituée à 60% d'eau
La Terre est constituée à 70% d'eau
Dans un cas comme dans l'autre, toute vie est possible.
Nous avions quitté le mexicain en 2006 après qu'il ait redéfini les bases du film d'anticipation avec son chef d'œuvre Children of Men (en Vf les Fils de l'Homme) en s'inspirant grandement du film War of Worlds de son maitre spirituel, Steven Spielberg. Film émotionnel et défi technique sans précédent avec des plans séquences impressionnants de maîtrise dont un qui renverrait presque la scène de l'autoroute de War of Worlds aux calendes grecques. Malheureusement comme souvent avec les bons films, la presse française est passé complètement à côté de ce bijou de technique ne louant le film que pour ses thématiques altermondialiste et sa critique du système, et laissant volontairement de côté, tout le sel du dit-film, à savoir sa réalisation. Et votre serviteur qui écoutait encore un peu les avis presse à l'époque, a manqué l'expérience Children of Men au cinéma pour se rattraper en dvd quelques mois plus tard, et quelle claque ce fut.
De 2006 à 2013, Alfonso Cuaron n'a pas chômé, puisqu'il a été entre autre le producteur du Labyrinthe de Pan de son ami Guillermo Del Toro, avant de s'atteler à un projet d'envergure, écrit à quatre mains avec son propre fils Jonas Cuaron, Gravity. Pour les besoins de son projet, pas moins fou que filmer l'espace comme si on y était, et après avoir renoncé à aller filmer du Soyouz russe http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/La-question-qui-tue-Alfonso-Cuaron-c-etait-difficile-de-filmer-Gravity-dans-l-espace-3873190 (rires), il s'est tourné vers la performance capture pour donner vie à sa vision, et à une amélioration technique d'icelle pour intégrer les visages des acteurs en prises de vue réelles dans les corps et le décor performance capturé. De ce fait, Cuaron s'est rapproché des maîtres hollywoodiens du procédé, qui sont d'ailleurs tous remercié en fin de métrage (James Cameron, et David Fincher) dont l'un utilisa le procédé pour Avatar, et l'autre pour son Benjamin Button. Mais finalement, pas complètement convaincu par le procédé, il décide d'utiliser un autre système encore, mix des deux et le résultat est légèrement autre, donc si le sujet vous intéresse, allez donc voir ici : http://www.capturemag.net/sur-ecoute/le-pionnier/.
Il aura fallu au taulier de ce blog pas moins de 4 visions du film pour le saisir plus ou moins dans sa globalité, une vision en VO 3D, une vision en VO 3D DOLBY ATMOS (pour bien ressentir toutes l'émotions auditives et le travail incroyable sur le son du film), une vision en VF IMAX 3D, première vision IMAX de ma vie pour goûter ce qu'ont dû ressentir les premiers spectateurs de 2001 en Cinerama. Dédicace d'ailleurs aux spectateurs qui sont allés voir le film en IMAX et n'ont rien trouvé de mieux que de se foutre au fond de la salle comme dans un cinéma classique, va comprendre Charles. Et enfin une vision en VF avec des amis pour convertir ceux que j'aime, à ce que j'aime.
Le pitch de Gravity est le suivant, une astronaute ou plutôt une experte en ingénierie médicale du nom de Ryan Stone, et deux de ses compatriotes partis œuvrer sur le télescope Hubble vont être pris dans une tempête de météorite, résultant de la destruction programmée d'un satellite russe par un missile russe. Restés deux, le troisième astronaute et le reste de l'équipage ayant été décimé par la tempête, leur retour sur Terre va devenir un contre-la-montre contre la mort de plusieurs fois 90 minutes (le temps estimé du tour de la terre des débris meurtriers).
C'est sur un pitch que ne renierait pas un Michael Bay ou un Simon West, que Cuaron et son fils vont construire un scénario qui va aller bien au-delà du ride émotionnel, même si dans sa générosité de cinéaste, Cuaron ne délaissera aucun public, et on peut parfaitement prendre ou ne pas prendre son pied sur le film, tout en comprenant ou pas les multiples sens du récit et de l'image. Alfonso Cuaron réalise donc encore une fois, un film loin de toute porté uniquement élitiste, et c'est sans doute cela qui va lui être reproché dans la presse française. Car oui, la presse a retenu les leçons de Children of Men, mais cette fois-ci, elle fait tout l'inverse, célébrant son film pour la prouesse technique, le ride technologique et la déferlante CGIesque, mais oubliant ou niant sciemment tout ce que le film dit de l'humain, de la peur de la mort, de la confrontation à la mort, bref, toute la partie métaphysique (venant d'un réalisateur agrégé de philosophie, quiconque connait Cuaron s'y attendait un peu) de ce dernier.
Allo, Newton, on a un problème !!
Le film s'ouvre sur l'Espace, un espace dépouillé dans lequel une astronaute, œuvre sur le télescope Hubble, réparant ou changeant des composantes défectueuses sur un circuit imprimé. Autour d'elle, le silence, et deux autres astronautes, un attaché à un câble au-dessus d'elle, et un qui gravite (oui oui, Gravity) du nom de Matt Kowalski autour d'elle, on pourrait même dire qui vole quand en y repensant on ne peut s'empêcher, Cuaron oblige de songer à la symbolique angélique que peut prendre le personnage joué par Clooney, tant sa présence de protecteur fait sens jusqu'à son ultime apparition (on y reviendra). Le spectateur est donc plongé dans le bain, Stone est le personnage central, et Kowalski est le vieux briscard qui fait joujou avec les outils de la NASA, le dernier astronaute, Sharrif, servira juste de marqueur à ce qui aurait pu arriver aux deux autres. Il y a un personnage supplémentaire auquel Cuaron a eu la bonne idée de donner la voix de Ed Harris, c'est Houston lui-même. La bonne idée car n'importe quel cinéphile, se souviendra du Christof du Truman Show de Peter Weir, auquel Cuaron fait peut-être allusion, en positionnant la voix off de Houston comme le marqueur d'une divinité régissant les trois astronautes. C'est d'ailleurs Houston qui avertira Kowalski, seul lien du trio avec la terre, de la catastrophe à venir.
Kowalski apporte un peu d'humour dans une opération qui s'avère délicate et un peu de musique anempathique dans un monde qui est dépourvu jusqu'au moindre bruit (tout bruit sera perçu dans l'espace de l'intérieur de la combinaison, donc sous forme de vibration, sensation garanti en ATMOS (TM) d'ailleurs avec ses 55 enceintes et ses 50 canaux, fin de la pub :)). C'est d'ailleurs lorsque Stone demande un peu de silence et que Kowalski coupe sa radio que la pesanteur du silence se fera ressentir et le spectateur prierait presque pour que la musique revienne, tant l'impression de néant et de mort se répand dans la salle. Cuaron refusant la convention bruit dans l'espace "space-operatique" propose un relatif réalisme au niveau du son, mais utilise la musique de manière stratégique pour ne pas perdre le spectateur dans un silence omniprésent qui finirait par perdre son sens anxiogène si il était maintenu tout le long du métrage. Ceci n'ayant rien à voir comme on l'a lu un peu partout avec le fait de ne pas "ennuyer son spectateur".
Saving Woman Ryan
Quand on regarde Gravity, on ne peut s'empêcher de penser à un chef d'œuvre minimaliste comme Duel, dans lequel Spielberg refuse toute utilisation de musique pour ne créer que de la musique viscérale à partir de bruit de moteur, de percussion et autres bruits mécaniques et/ou organiques. La musique dans Gravity agit de la même façon, même si elle est présente au contraire de Duel; elle est toutefois rarement symphonique, et privilégie des sons et des nappes plus désincarnées pour mieux rendre le trouble intérieur des personnages, cette lutte contre un destin implacable. D'ailleurs, à bien y réfléchir, Gravity possède un sens assez proche de Duel, dans le sens où dans le film de Spielberg, il s'agissait pour le héros David Mann d'affirmer son statut d'Homme et son statut de virilité face à un univers et un objet qui cherchait à l'en priver. Dans Gravity, Ryan Stone, affublé d'un prénom de garçon par une société qui ne la désirait pas femme, "mon père voulait un fils", et doublement privée de son statut de femme par la perte la plus horrible qui soit, celle d'un enfant, une fille également et de la manière la plus stupide qu'il soit, une chute lors d'un jeu (Gravity, hein) ; va devoir s'affirmer dans son statut de femme pour revenir sur terre, transcendée. Je ne sais pourquoi la révélation de la mort de la fille de Stone a eut un tel effet sur moi, sans doute parce que j'ai failli devenir borgne à 10 ans pour la même raison, sur le même jeu, mais je me suis senti bien plus solidaire de Ryan quand je l'ai entendu raconter la bêtise de la vie, et le fait qu'elle soit perdu dans l'espace a pris dans le scénario tout son sens. Ryan est un électron détaché de la vie, comme le boulon dévissé par Ryan du télescope qui manque de partir dans l'espace (celui de la salle, 3D oblige et celui du vide du cosmos), et que Kowalski va ramener dans le réel. Action qui préfigure déjà l'importance que va prendre Kowalski auprès de Stone.
La mise à l'épreuve de Stone va débuter lorsque Kowalski apprend de Houston qu'un missile russe vient de frapper un satellite russe, une destruction programmée dans laquelle va venir s'insérer un imprévu, les débris résultants du tir de missile qui arrive vers leurs positions à plus de 80 000 à l'heure. L'ambiance bon enfant bascule, et le premier astronaute se fait malmener par un météorite qui arrive. Stone et Kowalski tentent de regagner la navette mais sont pris de court par la tempête qui détruit le télescope, ravage Explorer et propulse Stone dans l'Espace. Elle parvient à se détacher du restant du bras du télescope et privé de tout guide se retrouve à tournebouler sur elle-même loin de tout repère. Finalement, Kowalski finit par la retrouver et s'arrimant littéralement à elle, il la traîne aidé de son engin vers la navette (ou du moins ce qu'il en reste). Cuaron par un procédé tout simple, attache le spectateur au duo, et positionne les enjeux de son film. Il va s'agir pour Ryan de "lâcher du lest", de "lâcher prise" pour accepter le monde tout aussi injuste et stupide soit-il et raccrocher la vie, une fois sa résilience effectuée. Sa première épreuve va être d'être confrontée après sa peur du néant à la mort, lorsque Kowalski lui demande de récupérer le troisième astronaute pour le rendre à sa famille. Stone vole jusqu'à ce dernier et le percute frontalement, c'est son premier contact avec la mort. Puis, Kowalski lui demande de le saisir "comme un jeune marié sa promise", ce que Stone effectue. Et enfin, nous découvrons ce qu'il est devenu, Cuaron nous montre dans un quasi split-screen, un flash-back et le réel de cet homme. Le spectateur qui n'a jamais vu son visage, mais n'a "connu" que le personnage par sa voix et son physique (ses pitreries et sa "macarena"), découvre enfin son visage ravagé par une météorite, un trou dans lequel l'espace apparait, alors qu'autour de lui flotte la photo de son passé d'homme vivant, de mari aimant et de père heureux. Cette première confrontation à la mort du corps et au souvenir de l'âme va renvoyer Stone à sa propre histoire, et lorsqu'elle s'attache littéralement à ce dernier, elle a déjà accompli une partie de son travail de résilience personnelle du deuil de sa petite fille. Kowalski, elle et le troisième astronaute décédé, reparte vers la navette.
Dans l'espace, personne ne vous entend penser.
Mais là-bas, loin de retrouver la quiétude, les attend à nouveau la mort, puisque chacun des occupants est mort. Stone d'abord le regard attiré par une figurine de caoutchouc du Marvin le Martien de Chuck Jones va renouer avec la réalité dans une apparition quasiment clin d'œil au film Jaws de Steven Spielberg. On rebascule dans l'horreur après un moment ludique qui fait sourire et rappelle l'enfance à certains. Cuaron imite la maîtrise de Spielberg qui utilise souvent un élément ludique au milieu d'une sensation de grand stress ou d'horreur pure. C'est la deuxième confrontation de Stone à la mort, et cette fois-ci, elle est vraiment frontale, puisque les yeux sans vie des occupants de la navette la scrute. Officiellement dès ce moment, il ne reste plus que deux survivants. Kowalski et Stone attache le corps sans vie de l'astronaute à la navette et tentent de rejoindre l'ISS qu'indique Kowalski à Stone du doigt. Kowalski règle sa montre sur 90 minutes (le temps nécessaire à l'essaim meurtrier pour parcourir la terre en orbite et revenir frapper les astronautes). Ils repartent tous les deux guidés par l'engin à propulsion de Kowalski. C'est dans cette quête vers l'ISS que Stone va révéler son passé, et son traumatisme, ce qui aura pour effet de faire couper sa radio à Kowalski, sentant que quelque chose cloche. Stone raconte donc son passé, la mort stupide de sa fille qui jouait à chat et qui est tombé sur la tête. Kowalski observe Stone, dont le corps est tête en bas dans le miroir de l'avant-bras de sa combinaison. Ce plan vient signifier la perte d'identité et de repère de Stone. Un autre plan lui répondra un peu plus tard dans le film, quand le corps de Stone toujours à l'envers s'inscrit dans une larme numérique.
Parvenues au abord de l'ISS, le propulseur rend bientôt l'âme, et les deux astronautes arrivent à toute vitesse sur la station ce qui a pour effet de briser net la sangle qui les relie. Stone part dans l'espace, quand Kowalski lui dit de lutter et d'attraper tout ce qu'elle peut, elle saisit un câble qui s'entortille autour de sa jambe, reliant à nouveau les deux astronautes. Elle attrape la sangle de Kowalski mais ce faisant, le câble n'étant pas tendu se distant autour de son corps, manquant d'entraîner les deux dans le vide. Kowalski qui n'a pas grand chose à attendre de la vie, il le dit clairement avec ses anecdotes du début et sentant que Ryan doit faire face, se décroche volontairement de son mousqueton, pour éviter deux morts stupides au lieu d'une. Ryan le supplie mais Kowalski lui rappelle qu'elle doit apprendre à lâcher-prise et s'extrait de son "étreinte". C'est la 3ème confrontation de Ryan à la "mort". Il faut féliciter ici Clooney pour la pureté de son jeu, le regard qu'il a sur le mousqueton de la sangle avant de le lancer devant lui, et de ce fait se donner le double mouvement nécessaire pour faire repartir Ryan vers la station et lui partir en pose messiano-christique (le christ étant le plus célèbre des messies, mais pas le seul) est à tomber d'émotion. On sent dans son regard que même lui hésite à faire le sacrifice ultime pour Stone.
Une fois la "mort" programmée de Kowalski adoucie par la petite blague de fin sur les yeux bleus de Kowalski et la musique de sa radio, le spectateur se retrouve encore choqué et seul avec Ryan. Cette dernière arrive à gagner l'intérieur du SAS et une fois parvenue à l'intérieur, et la pression rétablie, elle abandonne son costume d'astronaute et se replie en position fœtale, les câbles autour d'elle créant un cordon ombilical (qui n'est pas sans rappeler le câble qui l'unissait à Kowalski). Cette image a été décriée par beaucoup de monde comme lourde, ou symboliquement pesante, mais dois-je rappeler qu'un symbole est forcément pesant, puisqu'il doit être compris par tout le monde. Par ailleurs, cette image ne dure pas longtemps juste pour le plaisir de faire durer l'image longtemps, mais bien parce qu'elle décrit un moment qui appartient à son personnage, et que ce personnage a besoin de tout ce temps là du plan pour se recentrer et faire face à ce qui l'a atteint. Ceci est quand même assez typique des intellos en carton, qui vont reprocher à Cuaron de nous faire partager l'apaisement intérieur du personnage dans sa globalité alors qu'ils vont se pogner le manche quand Kubrick fait durer le plan des singes de 2001 dix minutes. Ceci étant bien entendu largement représentatif du deux poids deux mesures dans l'art, "selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cinéphiles en carton vous rendront bons ou mauvais". Et si Cuaron avait fait durer son plan moins longtemps, les mêmes intellos, seraient venu déplorer que Cuaron sacrifie son image au besoin d'aller vite dans le cinéma blockbuster hollywoodien. Bref, un cercle vicieux de la connerie humaine.
Ryan une fois recentrée autour de son objectif, le lâcher-prise et la survie, va se déplacer dans l'ISS passant à côté d'un début d'incendie sans détecter de danger (rappelons nous que dans son monde, les objets tombent par terre, donc elle est loin d'imaginer qu'une flammèche va se mettre en boule et devenir un danger potentiel). La force du cinéma de Cuaron dans les deux stations que va traverser Stone, va être de montrer des objets un peu clichés pour symboliser les pays des stations (des pions d'échecs pour l'ISS, des raquettes de ping-pong pour Tiangong) mais qui vont prendre du sens par rapport au parcours de Stone. Ainsi, Cuaron va mettre en parallèle les pions de l'échiquier avec Stone qui est un pion perdu dans un jeu qu'elle ne peut maitriser, tentant de joindre tour à tour (^^) Kowalski ou Houston, puis la raquette de ping-pong des chinois, quand Stone devient une balle, balloté par les évènements (deux pluies de météorites auxquelles elle a réchappé). Stone va être assimilé à la Terre, dans un plan du reflet de son visage sur le hublot de l'ISS qui n'est pas sans rappeler le génial ending de The Impossible, (lo Impossible) film décrié et largement incompris de l'espagnol Juan Antonio Bayona. Son visage complètement flouté et la terre net va être inversé dans la perspective de point de vue, au moment où cette dernière évoque le fait qu'elle est "la dernière survivante de la mission".
Stone en revenant vers la capsule de survie va être confronté au feu, premier des 3 éléments auquel elle va devoir survivre pour assoir son statut d'être humain. Le second sera l'air, lorsque elle devra atteindre la station chinoise et enfin l'eau, lors du final. Une fois ces trois éléments vaincus, transcendés, elle pourra rejoindre le quatrième élément, la Terre.
J'ai relevé dans le passage de l'ISS un clin d'oeil à Indiana Jones 4, mais peut-être que je me trompe. Stone veut fermer le Sas de la capsule de survie mais l'extincteur dont elle s'est servi pour tenter de réprimer l'incendie bloque la porte, comme le fruit bloque le réfrigérateur que Indy tente de fermer dans le village témoin lors du test du pétard nucléaire. On peut aussi se dire que Stone va donc tenter d'utiliser la capsule de survie du Soyouz pour rejoindre la station chinoise, mais c'est compter sans le parachute déployé de cette dernière qui va l'empêcher de démarrer et la ramener vers la station, alors qu'il ne lui reste que 7 minutes avant le retour de ses rochers Sysiphiens (merci Nyo pour l'image). Elle est donc forcée de sortir à nouveau de la capsule pour effectuer le lâcher-prise de manière totalement concrète une fois encore. Elle se fait surprendre par son émotion et laisse s'échapper le boulon, Cuaron montrant bien ici en reprenant le plan initial avec le même geste que Kowalski était bien son ange-gardien à elle. Sans lui, elle perd le boulon, et manque de perdre l'outil à déboulonner.
La pluie de météorite revient sur elle mais Cuaron la fait ressentir en concentrant uniquement le regard du spectateur sur l'arrière-plan qui se désagrège quasiment au ralenti et la musique de Steven Price qui envahit le cadre. La station est finalement traversé par des météorites et explose (oui ceci n'a rien d'illogique comme j'ai pu le lire un peu partout sur le net. Quand on crève une bouteille de gaz avec un élément pointu, ça fait s'échapper le gaz, donc dans le cadre d'une station orbitale, si on crée un appel d'air dans un élément vide, ça explose). Explosion qui propulse Stone et la capsule de survie restante dans l'espace.
Cette dernière tente de rejoindre la station chinoise Tiongang mais après une facétie digne d'Indiana Jones, premier du nom, se trouve face à une problématique d'envergure. Plus de carburant. Cuaron reproduit à nouveau un élément burlesque (l'aiguille qui est coincée en position haute) avec sa résultante dramatique pour Stone, elle est condamnée à mourir. La caméra sort par le hublot en travelling arrière et insère le corps de Stone qui hurle à bout de nerfs dans la vitre du hublot. Le plan suivant est un plan bref d'un Saint-Christophe (le patron des voyageur mais la symbolique est bien plus profonde, nous y reviendrons).
Comme le lui a appris Kowalski, elle se parle à elle-même pour éviter de devenir folle paradoxalement, et tente de contacter Houston. La caméra capte son visage inscrit dans la visière de son casque, délimitant encore une fois l'étendue de sa solitude de manière prégnante. Mais c'est un homme qui lui répond, Aningaaq au Groenland, pêcheur de son état qui a ses propres problèmes d'ailleurs (dont un court métrage a été filmé par Jonas Cuaronhttp://www.marianne.net/Aningaaq--la-parenthese-enneigee-de-Gravity_a233964.html?com#comments). Suite à une mauvaise compréhension de son identité (qui renvoi d'ailleurs pas mal à The Impossible encore une fois), le Mayday de détresse étant perçu par Aningaaq comme le prénom de son interlocutrice, s'instaure un dialogue dans lequel ni l'un, ni l'autre ne se comprenne. Puis devant cet écueil, et entendant un chien, Stone comprend qu'il est sur Terre et qu'il ne lui sera d'aucun secours. Elle lui demande alors de faire aboyer son chien pour lui rappeler la terre. Elle crie à son tour, et se libère de sa peur, de sa colère, de sa souffrance à travers un cri primal, qui la ramène à son animalité. Encore une fois, Cuaron passe du registre burlesque, les aboiements amusants de Stone à quelque chose de plus grave, le basculement dans la folie, au fur et à mesure que la musique souligne combien ces aboiements deviennent "hystériques", et finissent en pleurs, puis dans une réalisation de son futur, Stone va mourir. Elle est d'abord renvoyé à la mort comme généralité, "tout le monde meurt", puis à sa propre mort dans un deuxième temps "i'm going to die today".
Stone est rappelé à son traumatisme et abandonnant le cri animal, elle est brusquement ramenée à sa propre spiritualité, car la différence entre un chien et un homme, c'est que l'homme se sait homme et a conscience qu'il va mourir. Ce que Stone exprime en réclamant une prière pour elle, car elle n'a pas de croyance. Elle sait qu'elle va mourir et le dit à Aningaaq qui ne la comprend pas, barrière de la langue. Le monde de Stone est complètement chamboulé et Cuaron au lieu d'un dialogue explicatif l'exprime au spectateur par un simple plan d'une larme de Stone qui flotte en boule dans l'espace, et dans lequel son corps s'inscrit à l'envers, rappelant le plan du miroir de Kowalski.
On entend alors pleurs d'un bébé, évocation qui ramène Stone à son propre trauma et Aningaaq chante une berceuse pour rassurer son enfant Puis exprime en lieu et place d'une prière, une berceuse pour s'endormir définitivement. Stone coupe les lumières et bascule le niveau d'approvisionnement de la capsule de survie en oxygène sur 0. Bras en croix, elle attend la mort, quand surgit Kowalski qui ouvre la capsule et pénètre à l'intérieur.
Kowalski n'a bien entendu pas survécu, et peut-être que cette apparition est un tour de sa psyché privée du manque d'oxygène, ou bien est-ce une véritable apparition spectrale (nous sommes dans le film du mexicain qui a réalisé Harry Potter 3, le film de la série le plus connecté à la "mort" et l'ami et producteur de Guillermo Del Toro) ; toujours est-il que Kowalski redonne à Stone le courage de continuer, et il disparait non sans lui avoir signifié que "décoller c'est atterrir".
Stone arrive à tromper le Soyouz en lui faisant croire qu'il est à 3 m du sol (première évocation picturale de la planète en tant que surface plane) sur le dessin du manuel de vol. Elle s'élance pour une ultime poussée dans l'espace en direction de Tiangong. Ryan profite de cette dernière poussée pour laisser le passé au passé, et les morts au mort, et elle se débarrasse de son bagage psychologique pendant la séparation du module, en confiant l'âme et le souvenir de sa fille de 4 ans Sarah à l'âme de Kowalski. Il est d'ailleurs étonnant de remarquer que la petite Sarah a perdu une chaussure rouge, comme cet été nous avons vu dans Pacific Rim, l'héroïne terrorisée serrer une chaussure rouge lors de son flash-back. Stone se saisit d'un extincteur, modèle basique du propulseur de Kowalski, et s'écriant "let's go home " (en VF "finit de rouler sans but"), elle s'élance dans le vide.
Après des débuts hésitants avec son propulseur, elle finit par trouver le bon rythme et finissant par essentialiser l'extincteur vide, elle trouve la force de rejoindre la station chinoise. Cuaron qui nous avait fait participer pleinement de près à l'entrée dans l'ISS, dans toute sa difficulté, choisit dans cette partie du film de s'éloigner en travelling arrière pendant que Stone pénètre dans le sas d'entrée. La tempête cosmique de particule revenant sur elle (son périple, aura donc durée approximativement 3 * 1h30) dans un film de 1h30 c'est plutôt amusant comme détail.
Ryan atteint la capsule de survie de la station Tiangong, le Shenzhou (en chinois, "vaisseau divin"), puis au abord d'un panoramique sur une statuette de Bouddha, le signe évident que son karma est nettoyé de toutes les scories qui l'encombrait, elle déclenche l'ultime poussée, celle qui va la conduire dans le bain primordial, la mère, pardon la mer :).
Avant d'aborder, le decipit du film et par la-même de son scénario (pour un film, qui n'en avait soi-disant pas, on peut dire que c'est plutôt pas mal), j'aimerais revenir sur la présence et le traitement des icones dans Gravity, car ces éléments servent une thématique métaphysique qui a échappé à beaucoup de monde, malgré le fait que les symboles un peu lourd selon certains de la Renaissance et de l'accouchement n'ait échappé à quasiment personne.
On a vu dans le début du film, que Matt Kowalski était représenté sous la forme d'un homme "ailé" par le truchement de son propulseur, comme Saint Mathieu, de la même manière qu'il volète autour de Stone pendant toute la première partie, de manière protectrice, et c'est lorsqu'il va s'éloigner d'elle pour porter secours à Sherraf qu'elle va se retrouver en danger.
Dans Explorer, Stone et Kowalski sont confrontés à une vision de Marvin le Martien qui flotte devant eux, et sort ensuite dans le cosmos. Marvin n'est pas une divinité mais c'est une icone qui renvoie à la culture populaire, mais c'est aussi la Némésis de Bugs Bunny dans le dessin animé, puisqu'il est capable de détruire la Terre. Ce fut aussi la mascotte de la mission martienne "Spirit" de la NASA en 2003.
Dans le Soyouz russe, Ryan Stone, va être confronté à la vision d'un Saint-Christophe et non pas de Jésus comme on a pu le lire sur le net. Rappelons brièvement que Christophe de Lycie est un homme qui a entre autre servi de passeur pour faire traverser un cours d'eau au Christ qui était sous la forme d'un enfant. Christophe, renommé ainsi en grec "celui qui porte le Christ", en allusion à un géant légendaire initialement nommé « Réprouvé » qui aurait aidé l'enfant Jésus à traverser une rivière. Autrefois, il passait pour mettre à l'abri des maladies quiconque voyait sa statue et est devenu le saint patron des voyageurs. Sa présence dans le Soyouz est vécu par Stone comme un passage, une présence qui va l'aider à faire son deuil et accomplir sa résilience vis à vis de l'accident qui a coûté la vie de sa fille et avec lequel elle vit depuis de nombreuses années.
Enfin, dans le Shenzou "vaisseau divin" en chinois, Stone va être confronté à une vision de Bouddha, qui correspond parfaitement à son état à ce moment là. Elle s'est éveillé au monde et s'apprête à accéder à une renaissance karmique dans la pureté de l'eau. Elle est éveillé et peut éveiller d'autres esprits que le sien.
Pour chacune de ses figures divines ou quasi divines, Cuaron a la même réponse. Loin de singer le film 2001 qui se posait la question de "comment" par l'intervention d'une puissance supérieure, Cuaron et son fils invite le spectateur à se recentrer sur lui-même (la position foetale de Stone embrassant un tout autre sens), et de laisser la spiritualité à la place qui lui sied le mieux, c'est à dire dans l'espace, et de s'ancrer dans son essence d'être humain sur Terre. De trouver la réponse à la question qui nous habite tous, "pourquoi", sur la planète même que nous arpentons chaque jour. Tout le voyage initiatique de Ryan Stone n'a que ce but, Stone est une pierre qui n'a besoin que d'être façonnée pour révéler le diamant qu'elle renferme.
Gravity c'est aussi l'histoire d'une femme qui cherche son identité. Qui comme dans The Impossible part d'une nationalité, en l'occurrence Américaine, puis se retrouve à voyager dans la peau d'une russe avant de faire corps avec une station chinoise, pour finalement se retrouver Terrienne avant tout (le magnifique dernier plan).
Pour arriver à ce dernier plan d'ailleurs, Ryan va devoir comme l'héroïne de The Impossible, achever sa course dans le bain primordial, et puiser sa force de renaissance dans le liquide originel, l'eau. La Mer Freudo Lacanienne, qui est aussi l'endroit où la gravité est la même que dans l'espace, où le corps flotte, libéré de la notion de pesanteur. Stone ouvre la porte du hublot et est submergée par les flots, elle s'extrait de sa coquille, et tente de regagner le rivage, alors que la capsule coule remplie par les flots. Ryan s'empêtre dans les algues, comme un enfant qui nait peut s'entortiller le cordon ombilical autour du cou, elle remonte à la surface, et croise une grenouille, un être amphibie, et la marque Darwiniste de l'évolution. Elle émerge enfin, et scrute le ciel, dans lequel les scories de son aventure finissent de se disloquer. Lorsqu'elle rejoint la terre ferme, et enfouie son corps et son visage dans l'eau, elle est autre. Ses muscles, atrophiés par son temps dans l'espace doivent réapprendre à marcher, et se redressant petit à petit, elle tâtonne, et part vers l'inconnu, vers son nouveau statut d'être purifié. Ce voyage n'est pas que celui de Ryan Stone, puisqu'il est également celui du cinéma de Cuaron, qui passant par des tonnes d'effets spéciaux et d'un filmage numérique au service de l'histoire qu'il propose, va conclure son récit en filmant en pellicule 70MM dans une scène dépouillée de tout Fx, allant même jusqu'à donner à sentir au spectateur, la matière boueuse en projection sur la lentille de la caméra lorsque Stone se dresse enfin, geste pouvant rappeler la scène de l'empreinte du T-Rex dans Jurassic Park et conduisant en tout cas le cinéaste après plus de 1h30 d'expérimentations visuelles vers les retrouvailles de sa gravité.
J'ai écris cet article en écoutant la sublime BO de Steven Price, (http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18627120.html
) qui malgré certaines critiques sur son omniprésence, ne m'a pas du tout dérangé. Ce fut un moment trés agréable et douloureux à la fois, comme une naissance, et j'espère que cette analyse du film vous plaira.