Double, double, peine et trouble! Feu, brûle; et chaudron bouilonne!- Au picotement de mes pouces, je sens un Mal venir par ici.
Le passage éclair de Alfonso Cuaron aura changé à tout jamais la saga du sorcier chevelu qui a rendu les lunettes rondes et l'uniforme anglais tendance pour la jeunesse!
Débarqué au moment où la saga de même que sa propre carrière allaient connaitre une vraie maturité, le réalisateur mexicain a su profiter de sa chance pour imprégner une entreprise savamment calculée de son identité décalée.
Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban, est à la fois un film à contrecourant de la mode de l'heroïc fantasy de l'époque (rappelons qu'il est sorti quelques mois seulement après "Le Retour du Roi") mais également vis-à-vis de la formule- pour ne pas dire la routine- qui a fait le succès de la saga (ce que le faible résultat au box-office a bien rappelé à la production). Qu'à cela ne tienne, l'empreinte du cinéaste a tellement imprégnée l'adaptation cinématographique que les opus suivant en conserveront les concepts les plus farfelus! Bien entendu, ce qui frappe d'emblée est le relifting effectué sur les lieux et personnages emblématiques des deux premières productions cinématographiques; ils seraient trop nombreux à relever, citons en vrac: Tom le barman devenu bossu, Poudlard délocalisée en Ecosse, les uniformes évoqués plus haut complètement revisités (et même parfois délaissés), le professeur Flitwick qui a visiblement abusé de sortilèges de rajeunissement... Et Albus Dumbledore, pour des raisons indépendantes de la volonté de la production (RIP Richard Harris). Si le film prend ses distances avec les précédents- au point qu'on pourrait presque parler de reboot- il en va de même pour son respect du livre. Que ce soit en se permettant des coupes drastiques dans la narration (quitte à zapper des pans entiers de développement de personnages), en changeant des détails visuels comme les détraqueurs voire en ajoutant des éléments inédits. On pourrait même penser que le film tend le bâton pour se faire battre. Clairement, Cuaron en profite pour faire sa petite révolution dans la machine, quitte à aller toujours plus loin dans les concepts géniaux mais totalement déglingués, que ce soit par l'ajout d'une chorale entonnant la première tirade de l'acte IV de Macbeth, en suggérant la puberté par des moments tantôt poétiques et subtiles (notamment les superbes plans du Saule Cogneur qui ponctuent chaque saison) et parfois nettement moins, à l'instar de son introduction, ou en privilégiant un maximum le rapport d'échelle entre différentes valeurs de plan, notamment par l'utilisation d'énormes focales, du zoom et de la grue. En ressort un sentiment de frénésie du mouvement, contrastant avec le calme et l'intimisme de cet opus. On notera d'ailleurs que le réalisateur impose déjà un parti-pris osé pour l'époque au sein du cinéma à grand spectacle, et qui deviendra plus tard sa marque de fabrique, à savoir: celui du travelling en plan séquence, dont l'action ininterrompue est rendu possible par le numérique.
Pourtant, ces choix, aussi hasardeux qu'ils puissent paraître, s'avèrent totalement en adéquation avec les intentions de base du projet, et c'est en cela qu'on voit qu'au sein du chaos réside l'intelligence. En effet, à travers cet opus, l'équipe a voulu transmettre l'état d'esprit de ses personnages, à la fois en faisant le bilan actuel de la franchise mais également son avenir. L'objectif est de chambouler le spectateur comme le personnage, confronté au début de la maturité et du doute existentiel, magnifiquement illustré par le cadre qui sépare un maximum les protagonistes, autant pour les mettre en position de difficulté que pour rendre leurs décisions plus fortes. En cela, "Le prisonnier d'Azkaban" est peut-être le "Harry Potter" le plus cinématographique, bien que "La coupe de feu" et "Le prince des sangs-mêlées" ne soient pas loin du même résultat (en étant eux aussi conspués par les fans, ironiquement).
Une anomalie qui deviendra norme, par la suite!