En 1949, Fritz Lang est à la croisée des chemins ... L'échec commercial du Secret derrière la porte (1948) a mis fin à ses rêves d'indépendance et Diana, la maison de production qu'il avait fondé avec Joan Bennett, n'est plus qu'un lointain et douloureux souvenir. L'expatrié allemand n'a alors pas d'autre choix que de revenir dans le giron des studios. Il accepte donc de mettre en scène un film de commande à petit budget, House by the River, qui sortira l'année suivante. La critique de l'époque avait fait peu de cas de ce nouveau long-métrage de Lang, et le cinéaste lui-même n'aimait pas son film. C'est, à mon sens, tout à fait injuste ...
En effet, Fritz Lang est un de ses réalisateurs capables de transformer n'importe quel matériau en or cinématographique. Il réussit à s'approprier une histoire de meurtre somme toute classique pour la transformer en un objet fascinant. L'ouverture du film, in medias res, est magistrale. Stephen Byrne, écrivain, essaye tant bien que mal de coucher sur le papier quelques idées, puis sous le coup d'une pulsion,tente de violer sa femme de chambre, mais, voulant la faire taire, l'étrangle. A l'origine, Lang voulait que la femme de chambre soit noire, mais le studio refusa par peur de la censure.Ses premiers plans, filmés avec sobriété et style dans un noir et blanc sublime, suggèrent déjà un thème hautement langien : nous sommes tous des meurtriers potentiels, il suffit d'un instant de folie, d'un seul, pour basculer de simple citoyen à assassin. Cette première scène est une leçon de cinéma à elle seule, tant elle joue sur tous les ressorts de ce medium : mise en scène épurée mais sophistiquée, utilisation des décors (la rivière, les maisons, l'escalier), montage alterné (intérieur/extérieur), lumière (pénombre de l'entrée, notamment), importance du son (qui indique au personnage que la femme de chambre a fini son bain), interprétation (numéro d'acteur génial) etc.
Si le reste du film se révèle plus classique, il brasse tout de même des thèmes intéressants comme celui de la psychanalyse et de la création artistique (l'écrivain devient un auteur de best seller après son meurtre, car il écrit sur ce qu'il connait !). L'opposition entre Stephen et son frère John, entre l'homme pulsionnel et l'être moral rongé par la culpabilité est également passionnante. Le personnage de John, qui incarne la loi et le surmoi, est boiteux, signe qui l'aurait autrefois classé parmi les criminels. Le message est clair : la loi ne marche plus sur ses deux jambes et protège même les criminels (il devient complice, avant de l'emporter tout de même à la fin, dans un sursaut salvateur). On songe aussi au cadavre, qui réapparait malgré les efforts des deux frères, symbole flamboyant de l'inconscient qui frappe à la porte. Il y aurait encore beaucoup à dire sur l'interprétation, mais ce n'est pas l'objet de cette critique.
Tout au long du film, Lang ménage d'excellents moments de suspense, et jongle entre humour et moments dramatiques. Il est aidé en cela par de solides comédiens (Louis Hayward en tête, génial en homme ordinaire qui devient peu à peu un psychopathe). Une grande force de cet opus langien est de pas avoir vieilli, Il y a peu de choses à reprocher à House by the River, si ce n'est sa fin à l'emporte pièce, probablement imposée par le studio, et une dernière partie un peu trop sage par rapport à l'ensemble.
Au final, House by the River prouve une nouvelle fois l'immense talent de Fritz Lang. Certes pas un chef d’œuvre mais une plongée passionnante dans la psyché humaine.