La narration non-linéaire du film et son caractère parfois franchement contemplatif peut surprendre pour une oeuvre que l'on croirait pamphlet politique. Mais de politique, il en est finalement peu question dans Hunger, et ceux qui se pencheront sur cet objet filmique dans un but éducatif seront probablement déçus. Steve McQueen semble plutôt s'intéresser aux motivations de ces hommes les amenant à supporter de telles conditions de vie (voire à les rechercher). Des motivations non pas revendicatives, mais plutôt émotionnelles, psychologiques, métaphysiques. Le terme est lancé, et paraît inévitable pour décrire ce qui ressemble plus à un poème visuel qu'à une histoire narrée.
Ainsi d'un combat qui importe au moins autant pour lui-même que pour l'objectif qu'il défend. Un objectif hors d'atteinte (on se bat avant tout pour un statut qui n'arrivera jamais), pour donner au combat une absurdité qui demanderait à tout arrêter , mais qui, paradoxalement, prend tout son sens par cette même absurdité. Le titre du film prend sans doute ici sa meilleure signification, celle d'une faim de liberté qui ne saurait être rassasiée, et qui de ce fait réconcilie l'idée d'un combat noble avec celui d'un combat égocentrique car sans objectif pragmatique. Dans Hunger, on se bat peut-être pour ses propres raisons psychologiques égoïstes (désir d'immortalité, refus de la réalité...), mais se battre pour ces raisons, c'est aussi se battre pour le monde entier (le modèle qui doit inspirer à une élévation de la vie).
Le film nous communique d'ailleurs une universalité dans ce combat : la caméra suivant le gardien de prison dans sa vie de tous les jours prenant grand soin à nous le présenter comme un prisonnier lui-même, toujours enfermé dans des cadres dans le cadre ou par des éléments de décors ou des figurants, et le martèlement sonore introductif étant autant l'apanage des prisonniers que de manifestants, ou même des policiers frappant leur bouclier pour se donner le courage de diriger leur matraque vers les détenus. Un martèlement synonyme de violence grandissante, une violence toute humaine qui se développe à mesure que le fantasme de liberté devient trop confiné. Une dualité qui fait de ces deux idées, liberté et violence, les deux faces d'une même pièce humaine.
Et puis la mort, ultime symbole de cette dualité, autant dernière solution que manifestation d'un échec. Retour à la mère jusque là terriblement indifférente, ou à la nature dont Bobby (Michael Fassbender) disait qu'elle était l'harmonie alors que lui était condamné à la vie citadine. Fin d'un tiraillement trop virulent pour laisser l'être humain en paix, destruction du cycle de violence à l'échelle de l'individu afin de le sublimer dans une échelle universelle. Mais toujours résonne le discours terriblement pragmatique du père Moran (Liam Cunningham) : "Tu seras mort, pourquoi t'en soucieras-tu ?". Pas de réponse autre qu'un cinéma poétique comme moyen de réconcilier les opposés, et comme écrivait Tarkovski : "le seul qui puisse unir l'incompatible et le paradoxal".