Into the Abyss par Bettyneix
Into the Abyss, originellement prévu pour intégrer la série que réalise Werner Herzog sur la peine de mort aux Etats Unis, s'émancipe du programme diffusé par la télevision américaine et donne lieu à un véritable documentaire. Herzog se rend au Texas, au coeur de la Polunsky Unit afin de rencontrer Michael Perry, condamné à mort, huit jours avant son exécution. Neuf ans auparavant, ce dernier et Jason Burkett, son accolyte de l'époque, ont abattu froidement une mère, son fils et un ami à lui. Pourquoi ? Parce qu'ils convoitaient la voiture de sport rouge qui leur appartenait. Le crime, stupide, frappe par sa terrible futilité.
Ici, tout est filmé avec une efficacité surprenante. À commencer par la durée du tournage, quelques semaines uniquement pour des entretiens très courts. Herzog ne rencontrera Michael Perry qu'une seule fois, pour une durée de 50 minutes. Là où d'autres auraient voulu obtenir de nombreuses heures de rushs, Herzog va droit au but, trouve le ton juste en quelques minutes, face à son interlocuteur. Sans doute la force du film tient-elle en partie de cette méthode.
Farouchement opposé à la peine de mort, Herzog annonce à Perry dès les premieres minutes du film : « Je n'ai pas à vous aimer mais je vous respecte en tant qu'être humain ». Pourtant, Into the Abyss ne prend pas la forme d'un manifeste contre la peine de mort. S'il n'évacue pas la possibilité de transmettre une position précise par rapport à la question, il maintien le débat ouvert. Chacun est en mesure de retrouver ici ce qui le pousse à pencher d'un côté ou de l'autre du débat. Le face à face avec Lisa Stoler, fille et soeur des victimes, nous apprend qu'assister à l'exécution de Michael Perry l'a liberé. Puis peu de temps après que le gardien de prison qui accompagnait les détenus jusque dans la couloir de la mort, a demissioné, subitement, réalisant qu'il ne pouvait plus continuer. Le point de vue d'Herzog par rapport à la peine de mort est loin d'être équivoque et nous est très rapidement présenté. Ce qui est très subtile en revanche c'est la manière dont ce point de vue accompagne le récit tout au long du film. S'il n'est pas explicitement dévoilé à chaque plan du documentaire, il passe par d'autres « subterfuges ». Lorsque Herzog filme les yeux de Perry qui sont ceux d'un fou, d'un aliéné ou lorsqu'il laisse les victimes énumérer les pertes dont ils ont été victimes et qui dépasse largement le cadre du triple homicide en question, il pose un regard fasciné sur cette folie qui est partout, qui envahit le documentaire. C'est cette apparente objectivité face aux faits qui fait la force du film, qui lui donne une ampleur qu'il n'aurait jamais atteinte en se limitant à adopter le schéma d'un documentaire à thèse classique.
Ce qui interesse Herzog ici c'est également le système qui régit toute cette société. Il filme un monde effrayant, celui d'un Texas où toutes les violences semblent possibles. Les personnages, souvent foudroyés par plusieurs drames, plusieurs peines de prison, sont comme touchés par une sorte de fatum qui s'abat sur eux. Pourtant, cette démultiplication de la violence ne semble jamais entraîner de prise de conscience. Comme si finalement, ces hommes et ces femmes acceptaient de n'être que le jouet d'un destin misericordieux. La conversion du gardien de prison par exemple, qui après de nombreuses éxecutions décide d'arrêter subitement, d'exercer son métier, est moins le résultat d'une mûre reflexion sur le bien fondé de la peine de mort qu'un choc émotionel, une manifestion physique de son mal être qui le rend désormais inapte à continuer. Comme si finalement, le mal ne devait jamais porter à reflexion mais être écarté, refoulé. Il y a aussi chez Herzog, l'idée d'une certaine hérédité du mal. Le père de Jason Burkett, lui même enfermé, a retrouvé ses deux fils en prison (dont Jason Burkett). Lors du procès de Jason, c'est lui, qui cité à comparaître, épargnera la peine capitale à celui-ci en s'accusant d'avoir fait échouer l'éducation de ses fils. Comment ne pas voir dans l'enfant que porte la femme de Jason Burkett (qui l'a rencontré en prison), la futur victime de cette hérédité du mal.
Le documentaire va jusqu'à prendre une dimension élegiaque lorsqu'on découvre, au coeur des morceaux de films d'archives de la police, la voiture tant convoitée par Perry et Burkett. Garée au fond d'un vieux dépôt, recouverte de feuilles, elle est devenu inutilisable à cause d'un arbre qui a poussé à l'interieur. Image fascinante, elle témoigne du talent d'orchestration dont fait preuve Werner Herzog.
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