Joker: Folie à deux ressemble, par bien des aspects, à Gremlins 2: The New Batch (Joe Dante, 1990) : la mise en chantier d’une suite, imposée par les studios Warner en dépit du refus initial du cinéaste à l’origine de l’œuvre originale, est perçue tout à la fois comme une contrainte et comme l’occasion de déconstruire le modèle, d’interroger ses fondements et sa place dans la culture populaire. Aussi Todd Phillips, tout comme Joe Dante, ouvre-t-il son second opus sur un cartoon inspiré des Looney Tunes, où l’on voit le Joker harcelé par une ombre malveillante et soucieuse de prendre sa place, synthèse burlesque du conflit à venir entre l’individu et sa réputation, entre l’être biographique et l’image que les médias – et le cinéma, via une mise en abyme – ont élaborée. Des écrans partout, des caméras de télévision aux téléviseurs présents dans la prison ou dans les magasins, la justice tel un vaste théâtre à la dramatisation codifiée qui n’est pas sans rappeler le succès de certains procès de vedettes retranscrits en direct sur les chaînes de grande écoute ainsi que sur les réseaux sociaux. L’assistance du tribunal prend des aspects de salle de spectacle où s’agglutinent des groupies qu’une révélation contradictoire fera se lever et partir.
La minutie avec laquelle Todd Phillips dissèque les actions du premier volet par victimes et témoins interposés raccorde le personnage de Arthur Fleck à son statut d’homme lambda, de citoyen ne trouvant rien à répondre aux voix qui le confondent. Là où Joker orchestrait la montée en folie d’un raté et le ralliement d’une partie du peuple à son imaginaire anarchique, Folie à deux part de la star pour convenir de la faillite d’un imaginaire qui n’est plus le sien, volé par des fans prêts à tout pour se rapprocher de leur idole. Harley Quinn incarne d’ailleurs la fan par excellence qui ment sur ses origines, s’en invente d’autres davantage en accord avec l’enfance traumatique d’Arthur ; une projection musicale sur le plateau de Murray Franklin commence comme un duo lyrique avant de se dégrader en une fracture du couple, incapable de s’accorder en raison d’une confusion au sujet du destinataire : ne plus chanter seulement pour soi, pas non plus pour nous, mais pour eux, pour le public.
Le choix de la comédie musicale, vecteur de singularité et de légèreté, trouve ici sa justification : il confond réalité et fiction, mieux matérialise un espace instable d’une durée très limitée dans lequel glisse une fiction qui n’appartient plus à Arthur, davantage en phase avec le réel puisqu’il finit par assurer sa propre défense au tribunal, mais au Joker, à son ombre médiatique et ludique. Le film rejoint la trajectoire du Ken de Barbie (Greta Gerwig, 2023) qui, après avoir éprouvé la gloire, reconnaît « être seulement Ken ». Qui aurait espéré tant d’ingéniosité et de virulence au sein d’une suite bien meilleure que son prétendu modèle, superbement photographiée et mise en scène ?