Et si la femme s’était enfuie parce qu’un homme était arrivé ? Et si cet homme, c’était moi. Là, à la mi-septembre, je venais de m’introduire dans une voie étroite aux nombreuses ramifications, celle de Hong Sang-soo, le pendant cinéaste et masculin d’Amélie Nothomb, non pas tant dans l’écho de leurs voix mais plus dans leurs productions intensives, presque annuelles.


Dans ce 26ème opus (le nombre est-il exact?) qui a valu à Hong Sang-soo d’obtenir l’Ours d’Argent du Meilleur Réalisateur à la Berlinale 2020, et déjà sa 7ème collaboration avec Kim Min-hee, on suit Gamhee qui rend visite à trois amies de longue date. Triplant les règles du théâtre classique chères à Boileau (unité de d’action, de lieu et de temps), le réalisateur divise son long-métrage en trois visites, trois amies, trois sujets de conversation, trois hommes qui viennent briser un certain équilibre. Si la question est clairement énoncée lors d’un échange : « Ne se perd-on pas soi-même à raconter plusieurs fois une même histoire ? », on s’interroge quant à la possibilité que Hong Sang-soo se perd lui-même dans ce triptyque à la structure identique. Vraiment ? Se pourrait-il qu’il se perde ? Non. Par ailleurs, cette même question, au-delà du fait de se poser pour le réalisateur, se pose aussi pour le personnage de Gamhee qui dira à chacune de ses amies que depuis son mariage, elle n’avait jamais été séparé de son mari. Se serait-elle aussi perdue à raconter trois frois la même anecdote ? Le doute est permis. D’autres interrogations surgissent. Serait-elle aussi menteuse ? Le mystère plane, comme un fil rouge qui trace le récit et qui relie aussi le spectateur au destin de cette femme. Serait-elle, elle aussi une femme qui s’est enfuie ?



Mes personnages féminins fuient quelque chose, quelque chose
d’oppressant et de malaisant.



Utilisant des plans-séquence stables, Hong Sang-soo souhaite rendre l’essence de la conversation à cette dernière, donnant autant d’importance à l’écoute qu’à la parole. En refusant le champ contre-champ, Hong Sang-soo sort d’une liaison duelle, laissant la possibilité à la triangularité d’exister d’autant plus quand cette dernière s’incarne à travers l’intervention d’un homme, à mauvais escient ici. C’est d’abord un voisin qui frappe à la porte, alors qu’une conversation sur les animaux était initiée, sur notre rapport à eux et le rapport qu’ils entretiennent entre eux. Comment le coq en vient-il à déplumer le cou d’une poule en la bequetant ? En somme, comment instaure-t-il un système d’ordre social, un système hiérarchisé ? Et la viande, doit-on en manger ? Des interrogations par ci, d’autres par là, jusqu’à ce qu’un jeune coq humain frappe à la porte pour demander à ce que la propriétaire arrête de nourrir les chats de gouttière car sa femme en a peur. Les hommes s’invitent là où ils ne sont pas conviés, pour égratigner le voisinage, pour déclarer leur flamme jusqu’à en devenir gênant, pour diviser des amitiés ou des amours…


Mais qu’en est-il des femmes ? Si ce n’est le lien qui les unit, si ce n’est des souvenirs qu’on reconstruit, si ce n’est des palabres échangées, si ce n’est cette part de mystère qui les compose. Terminant son séjour dans une salle de cinéma, les vagues s’enroulent et se déroulent, s’échouant sur la plage à contre-courant les unes des autres. Ici comme dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait c’est la sincérité du discours qui est questionnée.


Belle découverte que ce film aux intentions sincères. C’est doux, c’est calme, c’est le profil type de l’innocent. Puis, après coup, après quelques journées à murir, mon jugement est tout autre : ce film est coupable ! Coupable de rester ancrer, coupable de travailler en profondeur, coupable de laisser ses plans, ses images, ses personnages et leurs mystères en moi…


Pour lire ma critique illustrée : https://lestylodetoto.wordpress.com/2020/09/20/la-femme-qui-sest-enfuie-coupable/

Pout
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le 20 sept. 2020

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