La Femme qui s’est Enfuie, sorti en salle en octobre 2020, conte les retrouvailles d’une jeune femme, Gam-Hee, que l’on suit durant tout le film, avec plusieurs de ses anciennes amies. Gam-Hee est mariée au même homme depuis cinq ans mais ils n’ont jamais été physiquement séparés aussi longtemps.

L’ultime variation
Voici, servi par Hong Sang-Soo, un film convenu à bien des égards ne correspondant pas aux habitudes du réalisateur. Bien que l’esthétique de ses 23 derniers films s’accorde avec La Femme qui s’était Enfuie, quelque chose m’a enfin fait apprécier un film de ce Sud-Coréen. Car regarder un film de Hong Sang-Soo est, pour moi, une épineuse corvée. Pourtant, cette fois-ci, à l’échéance du film, lorsque Gam-Hee regarde une seconde fois le film (un film représentant des vagues), cette fois en couleur, le mixage du son des vagues amplifié, j’ai été frappée comme par une révélation : C’était le « seul » film de Hong Sang-Soo. À côté, In Another Country, Hotel by the River (sorti la même année en France) ou encore La Caméra de Claire ne sont que des ébauches, des maquettes pour, enfin un film assez immersif apte à tenir attentif le spectateur jusqu’au bout.
Pourtant le film n’est pas un chef d’œuvre, il est le résultat d’une convenance d’écriture et de mise en scène assez forte. Les décors sont épurés et très monochromes, les costumes aussi, il n’y a pas d’enjeu fort dans le film, seule une linéarité scénaristique est instaurée. Pourtant, on sent, dans l’écriture, un manque d’ambition de la part du réalisateur par l’absence d’objectif. Le film ne cherche pas à raconter ni à montrer quelque chose en particulier. Il travaille une fois de plus le rapport de la femme à l’homme mais sans profondeur ni originalité dans la forme dans une prétention sans égal. Néanmoins, s’il y a un défaut qui peut jouer en faveur de Hong Sang-Soo, il s’agirait de l’absence de balises temporelles à travers le film, cette fois abordé d’une manière toute différente aux derniers films.

Faire du film un fantôme
En effet, entre chaque moment qui coupe le film et les visites, on ne sait pas combien de temps s’écoule et cela crée une sorte d’errance du personnage principal. Gam-Hee est comme un fantôme. Elle apparaît après plusieurs années de désertion et seulement pour rendre visite à des amies. Peut-être ces visites ont-elles lieu en même temps. Lorsque la dernière femme à qui elle va rendre visite lui explique qu’aux dernières nouvelles, une femme se serait enfuie, quittant son mari et, plus tard, lui dit qu’une personne qui répète toujours mot pour mot la même chose est en train de mentir, on pense immédiatement à Gam-Hee, serait-elle la femme qui s’est enfuie ? Ce n’est donc qu’à la fin qu’on commence à remettre en question tout le film et le personnage que l’on croyait peu haut en couleur pour se rendre compte que le film a finalement bien quelque chose à dire.
Durant tout le film on a espoir qu’il se passe quelque chose qui viendrait stimuler la curiosité du spectateur par un mystère ou un enjeu mais nous n’en voyons pas avant une heure de film. Pourtant durant cette première heure, le scénario se met en place nous montrant qu’il y a quelque chose qui cloche. À chaque visite, le film enferme nos protagonistes dans des intérieurs ou une nature maîtrisée (par exemple, le potager) en gardant inaccessible la beauté naturelle des montagnes, la réduisant à des informations ou des légendes. Le spectateur observe un fantôme du passé de chacune des femmes hanter leurs esprits et leurs habitations. Une dimension poétique qui ne manque pas de faire basculer le spectateur dans le doute et l’intérêt naissant concernant le film.
Pourtant, La Femme qui s’est Enfuie est tout de même un film aux traits aisément oubliables pour un spectateur qui ne serait pas initié à la filmographie de Hong Sang-Soo. Oubliable par son rythme, l’obscure couche qui enveloppe le film, paraissant ainsi trop indéchiffrable et sa mise en scène ponctuée de zooms (des effets dramatiques trop nanardesques) laissant dubitatif le spectateur (témoignages recueillis en sortie de salle).

Ah ! Les hommes…
On ne manquera pas de remarquer que chaque visite est ponctuée par l’arrivée imprévue d’un homme qui pose problème et que Gam-Hee semble semble ne surtout pas devoir voir. Un premier homme demande la suppression des chats du quartier, un second en veut plus de la part de la femme à qui il rend visite et la troisième fois, Gam-Hee retrouve son ex petit-ami parti avec une autre. L’homme est présenté comme un être perturbateur dans la vie de la femme, dérangeant, destructeur. Une vision bien arrêtée de la relation homme-femme déjà très stéréotypée.
Comme dans beaucoup de ces films, l’homme qui va perturber la femme (qui, je le rappelle, n’en n’a vu aucun jusqu’à lors dans film) est un réalisateur qui ressemble étrangement à Hong Sang-Soo. Un petit défaut de mégalomanie peut-être ? Petit défaut qui, après visionnage de Hotel by the River deux mois plus tôt en France, devient fort redondant pour le spectateur. Le réalisateur, dans l’optique d’être représenté par Kwon Hye Hyo (une fois de plus), se voit en un homme qui attire les femmes, qui les perturbe, un artiste admiré. Un aspect fâcheusement superfétatoire qui plus est.

En bref :
La Femme qui s’est Enfuie de Hong Sang-Soo est un film lent et trop obscur pour un débutant en la matière, le réalisateur ne fait plus que compter sur son « fan-club » pour admirer ses films. Le jeu en retrait mais délicat de Kim Min-Hee et la poésie de ce film le rattrapent grâce à un mystère qui crée enfin un vrai enjeu dans un film du réalisateur Sud-Coréen.

Zubenelgenubi
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le 1 févr. 2021

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