La véritable version cinématographique
On pouvait penser qu'Ingmar Bergman avait tout dit en 1975. Il a fallu attendre trente ans pour qu'un autre cinéaste s'y frotte. Et Kenneth Branagh gagne le match haut la main, L'un et l'autre ont pourtant des qualités et des défauts. Le principal défaut commun aux deux versions est la langue qui n'est pas originale (le texte original est en allemand). Bergman tourne la Flûte en suédois avec des chanteurs corrects mais jamais inoubliables, dirigés par un chef peu inspiré. Branagh propose une version anglaise passablement arrangée pour s'adapter à sa vision de l'œuvre, avec d'excellents chanteurs, certains même exceptionnels (Lyoubov Petrova et René Pape) et un chef incroyablement juste. Sinon, Bergman situe l'action sur la scène d'un petit théâtre suédois avec de magnifiques décors en bois. Branagh emmène sa troupe dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, dans des cathédrales et de somptueux décors de studios. Par ailleurs, l'un et l'autre ont clairement éliminé toute référence maçonnique. Dernier détail (qui a son importance), Bergman a réalisé son film pour la télévision, Branagh pour le cinéma. Voilà pour l'essentiel des comparaisons.
Le pari de Branagh était de faire aimer La Flûte aussi bien à des gens qui n'avaient jamais été à l'opéra qu'à des gens qui n'avaient jamais imaginé l'œuvre ailleurs qu'à l'opéra, de faire un spectacle populaire (ce que Mozart avait aussi voulu faire en 1791). Pour cela, il fait traduire le livret en anglais et modifie de nombreux dialogues et airs pour changer la trame. L'histoire est donc un peu différente, mais reste plaquée sur la même musique. D'œuvre d'initiation à la franc-maçonnerie, La Flûte enchantée devient une ode à l'amour et à la paix tournée dans un décor de guerre. Pari réussi puisque la transposition fonctionne au moins aussi bien, voire mieux que le livret original. L'histoire reste un peu tirée par les cheveux mais elle est portée par des interprètes incandescents et transfigurés. Il n'y a pas d'amour plus beau que celui de Pamina, pas de douleur plus cruelle que celle de la Reine de la Nuit. Les trois dames sont exceptionnelles, Sarastro est impérial, Tamino et Papageno magnifiquement servis. Enfin, au niveau de la mise en scène, les idées fusent, toujours à propos, la caméra est en parfaite adéquation avec la musique, le spectacle est total.
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