Depuis Gravity, je n'avais pas ressenti le besoin ou l'envie de me plonger dans une analyse, disons qu'aucun film n'était venu titiller mon intellect et mon émotion car chez moi l'un ne va pas sans l'autre. Après avoir quasiment renoncé à parler de Pacific Rim et de la profondeur de son sous-texte, tant la tâche m'apparait ardu, et ne pas trouver l'angle pour aborder la richesse du dernier X-Men, j'ai eu la joie d'être frappé par un film que j'attendais ardemment et qui s'est révélé satisfaisant au-delà de toute espérance : La Grande Aventure Lego (Lego Movie).
j'attendais ce film à plus d'un titre, d'abord, parce que même si je lui ai toujours préféré les Playmobils pour sa narration j'ai toujours été fasciné par le pouvoir créatif des Legos. Et puis, le postulat final du film est trés proche d'une nouvelle que j'ai écrite (avec des Playmobils ceci étant). Le film Lego Movie arrive à ce double exploit de mettre en avant la narration tout en ne mettant pas de côté la joie jouissive du n'importenawak de création legoesque.
Lego Las
Nous devons Lego Movie aux créateurs du génial Tempêtes de Boulettes Géantes (Cloudy with Meatballs). Ce film créatif et sensoriel fou, avec un message pas si simpliste qu'il n'y parait. Rassurez-vous, amateur de dédales labyrintiques mentaux, Lego Movie leur nouveau projet ne faillit pas à la règle. Ce même Tempêtes de Boulettes Géantes dont le surestimé et surinterprétatif Alain Korkos qui n'avait pas vu le film conspuait le dit projet sur son seul nom -"Je vous laisse juger de l'intérêt de la 3D, "Tempêtes de boulettes géantes" (sic), c'est crétin, je n'ai pas vu le film mais ça situe le niveau"- Quelque chose dans ce goût là, la phrase témoignant en elle-même de l'intelligence et de l'ouverture limitée de son pseudo "journaliste". Mais le but n'est pas de tirer sur l'ambulance, juste de s'autoriser une private joke pour quiconque a fréquenté un temps arrêt sur images et se rappelle des propos abscons de celui qui voit un peu tout et n'importe quoi dans l'Art.
Et justement, d'Art, il va en être ici question, aussi bien en termes de techniques, de créativité que du sens premier du mot Art, l'Alchimie, mais nous y reviendrons. Lecteur, si tu veux poursuivre plus loin la lecture, sache qu'il y aura moult spoilers dont la divulgation de la fin du film, donc si tu ne l'as pas vu, arrête ici ton périple. Si tu l'as vu, ou que tu as soif de symbolisme, alors plongeons ensemble dans les profondeurs du terrier du Yellow King ^^.
Après 5 visions du film Lego, et même si 7, ou 9 aurait été plus utile (Alchimie oblige), je pense être à même d'avoir à peu près entrevu la complexité du récit de Chris Miller et Phil Lord. La force du film étant que cette complexité ne fait jamais écran avec l'envie de fun et de pur entertainment du spectateur.
Ainsi, le récit premier du film raconte l'histoire de Emmet Brickowski (-on y reviendra ^^), simple ouvrier du bâtiment, employé par la société Octan, qui vit dans un monde idylique ou tout le monde ou presque pense pour lui, et où tout est super génial comme le crache la radio non-stop par le meilleur, le seul tube du top 50 et où la seule pensée philosophique se résume au titre du soap le plus vu (sans doute le seul) Où est mon pantalon ?. Emmet à la manière de Truman dans le Truman Show connait pratiquement tout son quartier (jusqu'au nom des chats de sa voisine), et tout le monde le connait ou du moins le croit-il. Emmet se lève le matin en utilisant les instructions, il se conduit dans sa maison en utilisant les instructions, dans la rue en utilisant les instructions, jusque dans son travail (détruire des bâtises biscornues pour monter des beaux immeubles bien lisse)il utilise les instructions. C'est donc le parfait automate dans un monde parfait. Mais sa rencontre dans le chantier désaffecté avec la "pièce de résistance" va bousculer son monde, ses certitudes, et sa petite vie rangée.
A la manière de Neo et suivant en cela le parcours du héros de Campbell, Emmet va être appelé à une aventure plus grande que lui, lié à la pièce de résistance malgré lui, et on voit la force de la métaphore, puisque Emmet sera au sens premier "la pièce de résistance" de Brickville. Les réalisateurs truffent le film d'idée visuelle folle (4 par plan) et de symbolique. Par exemple, lorsque poursuivi par les sbires de Lord Bizness, Emmet se pose la question de son identité troublée, une maison (le corps en symbolique et le moi) vient s'échouer sur la route, et il va la traverser de la cave au grenier, avant de sortir avec fracas par le Vasistas en ayant trouvé à peu près qui il est. Libéré de son statut d'ouvrier au service d'Octan, il entreprend un parcours initiatique qui se cloturera par sa "mort" et sa resurrection.
L'histoire peut sembler à première vue être un copycat d'assez bonne facture de Matrix, ou de n'importe quel utopie ou uchronie de la littérature ou du cinéma, parsemée de références aux Lego, sauf que de mentions du terme Lego, il ne sera pas une seule fois fait allusion dans le film, pas même dans sa dernière partie. A première vue seulement, car le pur génie de ce film est que toute l'histoire de Emmet n'est que mentale. En effet, SPOILER SPOILER SPOILER SPOILER à la fin du film, Emmet tombe dans "l'abîme infini du grand rien" et se retrouve sur le tapis d'un diorama immense de Lego. Et il s'aperçoit qu'un enfant est en train de jouer avec ce lieu gigantesque et sa condition de jouet lui saute aux yeux encore plus violemment que dans Last Action Hero (où Slater dissertait sur la violence de ce que les scénaristes lui faisait subir puisqu'il n'était rien de plus qu'un épouvantail, un simulacre de vie fantasmatique).
Ainsi, toutes ces allusions, toute cette dictature, toute cette vision de ce monde idylico-horrible (quoique la Resistance soit guère plus idéale que la Dictature, on y reviendra) n'est que l'imaginaire d'un enfant en conflit avec un Père qui ne le laisse pas jouer avec son diorama. La fin du film peut donc se voir comme le triomphe du pouvoir de l'imaginaire enfantin sur le monde tristounet et horrible des adultes. Certes, sauf que ça serait un peu trop simple pour les créateurs de Tempêtes de Boulettes Géantes. Et avec cette fin, comment expliquer que Emmet s'affranchisse de l'imaginaire de l'enfant. Car une fois sorti de l'abîme du grand rien, l'animation 3D en synthèse ; Emmet devient un personnage Lego en dur mais doué en revanche d'une vie propre. Ce n'est plus l'enfant qui meut Emmet, encore moins son conflit paternel, c'est Emmet qui s'émancipe de son "créateur" pour agir lui-même. On en vient donc au sous-texte du film, et au pourquoi Emmet se nomme Emmet.
Lego Lem
Le prénom Emmet a un sens, et pour le comprendre, il faut ami lecteur, plonger dans les méandres de l'Alchimie, l'Art donc. Il faut remonter jusqu'au mythe Juif du Golem.
Le Golem (hébreu : גולם « embryon », « informe » ou « inachevé ») est, dans la mystique puis la mythologie juive, un être artificiel, généralement humanoïde, fait d’argile, incapable de parole et dépourvu de libre-arbitre façonné afin d’assister ou défendre son créateur.
Déjà mentionné dans la littérature talmudique, il acquiert une popularité considérable dans le folklore juif d’Europe Centrale. Dans l’une des versions les plus populaires de sa légende, reprise par certains contes chrétiens, il naît de la terre glaise après que quatre sages, figurant les quatre éléments, ont pourvu sa matière informe de leurs attributs ; sur son front figure le mot emet (« vérité ») qui devient, lorsque sa première lettre est effacée, met (« mort »), faisant retourner l’homme artificiel à la poussière.
Et c'est précisément le parcours que va emprunter (sans mauvais jeu de mot) notre Emmet. Car il débute sa quête totalement dépourvu de libre-arbitre, façonné selon son créateur (l'enfant) et servant les principes de son monde (la dictature de Brickville, puis la "dictature" de Cloud Cukoo Land. Il va tour à tour être appelé Elu par Cool Tag, et par Vitruvius et ces deux personnages (eux-mêmes gérés par le créateur) vont lui inculquer en tête l'idée qu'il est l'Elu, puis qu'il ne l'est pas. Mais c'est après sa mort (voulu par son créateur) et sa chute dans les limbes de l'abime infini du grand rien que Emmet va être Met, puis revenir en étant changé, et en ayant compris et décidé son choix d'être l'Elu, et plus seulement parce qu'un autre le lui aura dit mais parce qu'il l'aura décidé et compris.
On en revient à Matrix, mais pas seulement au seul premier opus, mais aussi à ses suites, Reloaded et Revolutions qui marquent cette compréhension du conditionnement. Ce n'est donc pas un hasard de la part des scénaristes-réalisateurs si Emmet se nomme Brickowski ou encore si dans le film on voit apparaitre de manière quasi subliminal les Lego Speed Racer, la deuxième oeuvre phare du duo qui mettait déjà en avant un besoin pour son personnage de se "transformer".
Plus haut j'ai émis l'hypothèse que le monde des nuages que Emmet rejoint après sa fuite avec Cool Tag est une "dictature" également. Les auteurs sont allés chercher trés loin cette référence, puisque dans la pièce de théâtre, d'Aristophane les Oiseaux, nous trouvons un monde dans les nuages où se sont rassemblés les penseurs pour fuir la corruption de leur capitale.
"Deux Athéniens, Évelpide et Pisthétère, fatigués d'Athènes, fuient cette cité gangrenée par la corruption, les procès et les démagogues. Ils atteignent la demeure de Térée, ancien roi de Thrace transformé en huppe. Ils persuadent l'assemblée des oiseaux de fonder dans les airs une cité, d'où les intrigants, sycophantes, sophistes et orateurs sont exclus. Térée se charge de convaincre son peuple adoptif de l’intérêt d’accepter parmi eux les deux Athéniens. Ceux-ci proposent, en effet, de rendre à la gent ailée le pouvoir que lui ont volé les dieux. Ils fondent ainsi, entre terre et Olympe, Coucouville-les-Nuées, (en grec ancien, Νεφελοκοκκυγία) une cité dont la situation idéale permet d’assujettir les hommes et de profiter des fumets sacrificiels destinés aux dieux.
Coucouville les nuées (-soit la traduction exacte de cloud cukoo land) est un état excessivement idéaliste où tout est parfait. Dans le film, Cloud Cuckoo Land est la maison de la princesse Unikitty (Uniquity (unicité) en phonétique), une terre dans les nuages où il n'y a pas de règles, pas de limites et où on dit Non à quasiment tout ce qui pourrait perturber le bonheur de la Cité, soit donc le principe même d'une dictature. D'ailleurs en VO, comme en VF, la princesse Unikitty peut aussi s'entendre Iniquity (inicité) soit donc le caractère de ce qui est injuste, partial, dépeignant bien la duplicité de cette dernière, duplicité qui sera illustré dans le film par son caractère changeant (passant de la plus grande joie à la plus grande colère en une fraction de seconde).
Les auteurs nous font donc entrevoir les deux facettes de la dictature, un lieu où il n'existe que des règles et un lieu où il n'en existe aucune. Le message du film, étant plus de trouver sa place en utilisant les règles pour changer le monde qui nous entoure. On est donc bien loin du simple et naïf "le plus important c'est le monde rêvé avec des yeux d'enfant, ou l'imaginaire de l'enfance triomphe sur le côté amer et désenchanté des adultes" comme on a pu le lire un peu partout sur les critiques presse et public de personnes qui ont entrevu le film par le petit bout de la lorgnette, se satisfaisant non pas de ce qui était dans le film, mais de ce qu'ils voulaient qu'il y soit.
Ce début d'analyse est bien entendu plus que non exhaustif et il faudrait plusieurs dizaines de pages pour retranscrire toutes l'intelligence des références des créateurs (notamment leur réutilisation des "robots-et" de Carpenter dans "Invasion Los Angeles" (They Live).
On est donc comme nous venons de le voir clairement trés loin du simple film concept pour vendre des Lego (on est d'ailleurs pas bien sûr que la marque en ait réellement besoin, contrairement à des licences plus cynique comme Transformers par exemple) comme l'ont dit les mauvaises langues. Et même si la charge contre la société de consommation est présente dans le film, et intelligemment présente, elle ne constitue heureusement pas le seul intérêt du film.
Le récit premier du film est accessible et largement suffisant pour quiconque veut un film fun et sans prise de tête, un concept clair qui met en avant le pouvoir de l'enfance et de l'imaginaire sur la triste vie morne et glacée des adultes, MAIS pour quiconque dépasse ce simple stade, chaque nouvelle vision s'enrichit de la précédente et le film finit par devenir un miroir de la condition humaine face à l'immensité de l'Univers ainsi que la recherche par l'humanité d'un célèbre Père et de son non moins célèbre Fils (et ce sans aucune portée uniquement Chrétienne) ^^. Chris Miller et Phil Lord rejoignent à leurs tours la petite famille des cinéastes cosmogoniques qui utilisent le média cinéma pour repenser le trajet de l'homme dans le monde.