Dans La Grande Bellezza, il y a Tony Servillo. Magistral, charismatique, d’un naturel insolent, flamboyant quand il pique au cœur par son verbe incisif, émouvant lorsqu’il contemple son chemin de vie, dont le potentiel en partie manqué lui est renvoyé constamment à la figure par les convives qui partagent son vin.
Il y a également dans La Grande Bellezza une belle sensibilité pour l’image précise, celle qui souhaite prouver aux yeux qui la contemplent qu’elle est animée par un savoir-faire solide. Parfois subtile et émouvante (toute cette ballade au sein d’œuvres d’art éclairées à l’économie de lumière), elle se complaît toutefois trop souvent à être grossière et forcée, à l’image de tous les instants festifs qui se veulent être des portraits acido-manqués d’une élite culturelle à la dérive ou aux quelques inserts maladroits d’une imagerie de synthèse qui semble s’être échappée d’un plateau voisin.
Mais dans la grande Bellezza, il y a surtout ce portrait tellement difficile à appréhender qu’il en devient impossible à remettre en question, qu’on se demande quel public il peut bien toucher. A part ceux qui portent un œil intéressé sur ce cercle très fermé de la bourgeoisie érudite d’une Rome privilégiée, il y a fort à parier que le plus grand nombre suivra les tribulations de ces bobos taquins adeptes du verbe d’un œil très distant, et d’un ennui poli, ce qui fut mon cas la plupart du temps.
C’est d’autant plus regrettable qu’il y a véritablement dans La Grande Bellezza une sensibilité évidente pour mettre en lumière l’humain et son quotidien. En témoignent les rares moments où Sorrentino extirpe sa caméra du monde doré qui l’a kidnappée et qu’il ose alors enfin s’aventurer dans des ruelles d’une Rome qui paraît plus authentique. Dans ce bar notamment, où Tony Servillo échange avec un ami perdu de vue, qu’il y fait la rencontre de sa fille, seule âme à portée d’un spectateur un peu perdu dans les frasques d’un gratin volontairement rendu inaccessible.
Se perdant dans des influences qu’il se complaît à étaler grossièrement, allant jusqu’à faire citer Dostoievski à Tony la classe, Sorrentino étale grassement sa condition de cinéaste qui commence à se faire reconnaître. Quid par exemple de cette scénette ridicule où l’on croise Fanny Ardant en plein crépuscule, pour une séquence tellement hors de contexte que saisit à la gorge une impression troublante d'être devant un entracte publicitaire pour un parfum de luxe.
En bref, il y a un peu de tout dans la Grande Bellezza. Une verve revendicatrice qu’on ne peut lui enlever mais qui se noie dans une écriture opportuniste visant à fédérer : un peu de sexe, quelques passages critiques bien démagogiques (le sketch sur la chirurgie esthétique est assez risible… ) et des mises à mort verbeuses, il est vrai bien écrites mais terriblement vaines. Ce monde si futile et terriblement lointain est filmé avec une telle complaisance, que s’il se voulait être un doigt pointé sur une bourgeoisie qui s’oublie dans un monde d’apparence, manque le coche, et finit presque par inspirer le sentiment inverse.