Lire des avis divergents sur "La Lectrice" est inévitable. Car ce film n'implique pas qu'un seul niveau de lecture. Rien d'étonnant : il s'agit du chapitre 23 d'une filmographie qui passionne les uns et agace les autres depuis les débuts de Michel Deville derrière la caméra.
Après "Péril en la demeure" et "Le Paltoquet", l'un des plus originaux, surprenants cinéastes français proposait à nouveau un récit en images peu banal.
L'insolite - notion chère à Deville - est vite au rendez-vous sur l'écran. Une jeune femme prénommée Constance rejoint son compagnon au lit et accepte de lui lire à voix haute son livre de chevet. Zoom sur la couverture pour le titre et le nom de l'auteur : "La lectrice", de Raymond Jean. Deux séquences plus loin, le temps d'une discussion avec une amie et d'une petite annonce, la même jeune femme entame son 1re jour de lectrice à domicile. Surprise : elle dit s'appeler Marie, prénom du personnage du livre que le film adapte. Avec une jubilation prégnante et la complicité de jeu de Miou-Miou, Deville s'amuse encore à brouiller le récit. Créant une confusion d'individus pour mieux cerner le phénomène d'identification unique lié à la lecture. Il n'a aucun mal à faire croire que "La vie est un roman" pour son héroïne... Reste à savoir laquelle !
Peu importe, en fait. Car l'attention est captée par ses étranges rencontres sous le signe d'auteurs variés. Maupassant pour le jeune homme en fauteuil roulant qui va mieux s'assumer grâce à une aide exhibitionniste. Lewis Caroll pour la fillette délaissée par sa mère, cadre sup' (Clothilde de Bayser), mais bien plus adulte qu'elle. Marx et Tolstoï pour la vieille dame excentrique (Maria Casarès, vibrante) qui l'entraîne dans une révolte de quartier. Duras pour un P-D.G. stresse et perturbé sexuel (Patrick Chesnais, touchant). Jusqu'à Sade pour un vieux notable vicieux (Pierre Dux, déstabilisant) qui ne la piègera qu'un seule fois.
Ponctuées par des extraits en résonance de Beethoven et pimentées d'un érotisme bien maîtrisé comme l'ensemble du film, les situations sont très savoureuses, mais de l'agacement peut naître de ce que cela fait un peu théâtre filmé.
En fait, le grand plaisir de spectateur était, alors, de retrouver la talentueuse et généreuse Miou-Miou dans ce qui s'est imposé depuis comme l'un des plus beaux rôles de sa carrière. Après deux ans d'attente et de doute, "La lectrice" refaisait d'elle une actrice à la page !