C’est un fait, les films sur la commune de Paris demeurent extrêmement rares. La raison en est-elle politique ? Sans aucun doute – par comparaison ceux sur la Révolution (bourgeoise) française sont bien plus nombreux. Personnellement je n’en ai vus que deux : "La Commune (Paris 1871)" réalisé en 2000 par l’anglais Peter Watkins (d’une durée de 3h30) et celui-ci, La "Nouvelle Babylone", tourné par les Soviétiques Kozintsev et Trauberg en 1929.
Mais allons droit au but : ce film est exceptionnel. Les auteurs, avec un art consommé du montage (ellipse, montage parallèle, rapprochements allégoriques) revisitent ici cet épisode tragique de l’histoire du mouvement ouvrier avec une ferveur communicative et un sens aigu de la parabole qui frôle parfois la perfection.
Mais surtout, ce qui fait de ce film un véritable poème visuel, un tableau vivant et un pur moment de cinéma, réside dans ce talent si particulier qu’ont les soviétiques pour filmer les visages graves des gens du peuple (souvent en gros plans et en contre-plongées). A-t-on vu depuis une telle majesté dans la maîtrise du portrait au cinéma ? Qui aujourd’hui parviendrait à donner une telle grâce à des visages de prolétaires ? On dira ce qu’on voudra du cinéma de propagande soviétique, mais on ne lui enlèvera jamais cette capacité si particulière à filmer et à célébrer les damnés de la terre (ce que confirmera encore un film comme "Soy Cuba" à l’orée des années 60). Pour ce qui est de l’histoire, elle est presque anecdotique, mais – la chose est assez rare dans le cinéma soviétique pour le souligner – pas vraiment manichéenne puisque nous suivons deux personnages anonymes, une jeune vendeuse rangée du côté des insurgés et un jeune soldat poussé presque malgré lui du coté des versaillais. Les deux se croiseront, se désireront l’espace d’un instant, puis seront chacun entraînés par le tourbillon de l’histoire jusqu’à se retrouver une dernière fois face à face, côté bourreau pour l’un et côté victime pour l’autre. Voilà, c’est lyrique, émouvant et beau. Et c’est un film qui nous rappelle combien l’art muet était alors arrivé à son apogée.
Je profite de l’occasion pour saluer au passage le travail des éditions Bach Films qui depuis 2005 s’emploient à éditer à la pèle (ils en sont à 58 DVD) les chefs d’œuvres du cinéma soviétique – dont la plupart ont quelque peu été oubliés par l’histoire officielle – et ceci pour la modique somme de 7 euros le DVD. Alors bien sûr il ne faut pas, à ce prix-là, espérer tomber sur des copies remasterisées. Pour autant, et hormis quelques mauvaises pioches (surtout évitez "Le Bonheur" de Medvedkine dont la copie est exécrable) l’ensemble reste assez correct. Au programme : tous les films d’Eisenstein, "L’Homme à la caméra" de Vertov, la curiosité futuriste "Aelita", "La Mère" et "Les Derniers jours de Saint-Pétersbourg" de Poudovkine, "Arsenal" et "La Terre" de Dovjenko, "La Jeune fille au chapeau" de Barnet, "Selon la loi" de Koulechov, "Les Marins de Kronstadt" de Dzigan ou encore la trilogie des "Maxime" de Trauberg et Kozintsev. Bref, que du bonheur.
A voir aussi : "La Pipe du communard" (C. Mardjanov, URSS, 1929, env. 50′) ajouté en bonus sur le DVD de "L’Homme à la Caméra". Ce film de reconstitution historique évoque la Commune à travers le destin tragique d’un enfant de communard, mais est très loin d’atteindre les qualités de "La Nouvelle Babylone".