Comme je l'avais expliqué sur la critique du film La Horde sauvage (1969), le western est un genre où je confesse d'énormes lacunes, je vais donc écrire la critique du chef d'oeuvre de Sergio LEONE selon le regard d'un cinéphile, mais sans me risquer à des analyses et comparaisons trop précises dans le genre.
Le Bon, la brute et le truand (1966) c'est d'abord un souvenir d'enfance, lié à l'iconique musique du thème principal, qui le lendemain d'une diffusion du film un soir à la télévision, résonnait dans la cour de récréation de l'école, avec plus ou moins de bonheur, chaque enfant l'ayant ajouté à ses bruitages de jeux de cow-boys. Mais au delà de cette anecdote, la bande originale de Ennio MORRICONE devenue un classique et parée de l'aura de musique culte, immédiatement identifiable et dont l'apparente simplicité recèle des trésors de complexités narratives, deux notes évoquant le cri d'un coyote, pour situer l'action dans ce far west sauvage qui dialogue avec une anachronique guitare électrique sur une pédale d'effet wah-wah pour illustrer le tournant qui conduira ce même far west vers le monde moderne qui déjà frappe à sa porte. Le thème sera interprété pour chaque personnage par un instrument différent, une flûte pour le bon, un ocarina pour la brute et une voix humaine pour le truand. S'articuleront autour de ce thèmes diverses variations qui accompagneront l'histoire, ses rebondissements ou sa narration.
Les trois personnages ensuite, chacun introduits dans une longue ouverture caractéristique du réalisateur, qui prend le temps d'installer son récit et ses héros et nous immerger dans son film, chez Leone on ne fait pas d'économies de pellicules et les plans s'étirent sans jamais nous lasser, tout est construit comme l'était les mythes de la tradition latine.
Le premier que l'on nous présente est "le truand", trois chasseurs de primes, trois gueules dont la rudesse de la vie nous est contée par les sublimes gros plans que fait Leone de leurs visages, paroles et discours vains, l'image suffit à leur donner un passé, une histoire. Maître incontesté et incontestable dans l'art d'alterner sur un montage plus ou moins rythmé selon les impératifs de narration entre les plans larges, qui posent les décors et les contextes dramaturgiques et les gros plans qui à la manières des arias dans l'art lyrique captent l'attention sur un élément, un personnage, un lieu. Ces trois hommes qui sans un mot, se ruent dans un bâtiment d'un bourg isolé, déserté et la caméra qui d'un vif pano poursuit l'action sur une fenêtre brisée par un homme s'enfuyant sans manquer d'avoir conservé la cuisse de poulet qui lui servait de dîner, laissant les trois chasseurs de primes au sol. En quelques plans et sans un mot, nous découvrons un personnages pouvant sembler gauche et sans envergure mais en réalité rusé, roublard et évoluant dans son élément naturel.
La scène d'après nous introduit dans la demeure d'un homme et de sa famille où se présente un homme qui se distingue par une allure quasiment aristocratique, la moustache est taillé, la barbe rasée, la tenue impeccable, ornée d'une étole de soie blanche et montant son destrier en utilisant l'allure dite du trot espagnol qui en plus de conférer une aura de magnificence à son déplacement est réputé pour être l'allure équestre offrant le meilleur rapport entre fatigue de la monture, vitesse de déplacement et distances possiblement réalisables. L'homme bien qu'évoluant dans ce même univers en est cependant extérieur, tout chez lui est froid, calculé, sans émotion, efficace et sans pitié.
L'occasion de souligner le travail du chef opérateur Tonino DELLI COLLI qui a effectué un travail sur la lumière digne de l'héritage pictural de la grande tradition classique italienne, dans ce film chaque plan est un tableau de maître.
"La brute", puisque c'est lui qui nous est introduit par cette séquence admirable dans son écriture et sa mise en scène se dévoile comme le méchant aux méthodes amorales.
Enfin, nous rencontrons "le bon", qui est en fait un complice du truand avec qui il a monté une fructueuse arnaque à la prime. Lui même s'il est un gredin comme les deux autres, s'astreint à une forme de code d'honneur, de moral dont il ne dévie pas.
Ces trois hommes, qui sur fond de guerre de sécession, partiront à la recherche d'un trésor dont chacun a eu vent mais dont aucun ne possède l'ensemble des informations permettant de le situer, useront de tous les stratagèmes, nouant des alliances fragiles, se trahissant selon les occasions, jouant avec le contexte pour y parvenir.
Mise en scène virtuose, acteurs formidables, montage et musique digne d'éloges, tension, suspens, humour, et voici comment quasiment trois heures passent sans le moindre temps mort.