Les grands noms sont rares dans le milieu du cinéma d’animation, mais Mamoru Hosoda s’est automatiquement placé comme l’héritier du demi-dieu Hayao Miyazaki. Hosoda est un perfectionniste, il suffit de voir le sublime qui se dégage de ses paysages: les arbres, les plantes, les décors deviennent des pièces d’orfèvrerie. C’est dans cette nature, pourtant endémique, que surgit le fantastique. Cette immersion dans le réel visuel lui donne une connotation douce et presque légitime. Les marques de fabrique des oeuvres nippones répondent présentes: Perfectionnisme et Poésie du Merveilleux. Cependant, Hosoda apporte son propre fonctionnement narratif qui diffère de Miyazaki. Si ce dernier choisit d’ouvrir un monde nouveau et fabuleux à son spectateur – que ce soit la tribu de “Princesse Mononoké” au monde parallèle du “Voyage de Chihiro” en passant par le monde sous-marin de “Ponyo sur la Falaise” -, Mamoru Hosoda prend à contre-pied le récit miyazakien. Il ne favorise ni le dépaysement, ni la novation, ni la progression dans ce monde stupéfiant. Chez Hosoda, la narration consiste soit à la transformation du réel par le fantastique (“La Traversée du Temps”, 2007) ou à la progression du fantastique dans le réel (“Summer Wars”, 2010), soit aux moyens mis en place par ses protagonistes pour occulter leur différence (“Les Enfants Loups”, 2012). La différence est pourtant cruciale. Car, en ne s’attardant par sur la féerie, Hosoda crée de véritables psychologies humaines. Il ne ballade pas ses personnages, il les fait vivre. Ils se libèrent de leur caractéristique picturale pour devenir des êtres à part. Par cette prouesse, Hosoda se distingue du film d’animation standard qui empathie constamment de son statut même de film d’animation. L’animation rime dans l’imaginaire collectif avec enfance et ficelles (visibles) mélodramatiques. Le caractère pictural empêche l’identification, et les histoires rocambolesques et absurdes (puisque les enfants sont moins cartésiens) interdisent une quelconque probabilité. Pourtant, on pourrait dire que Hosoda cherche le fantastique: Ame et Yuki ne sont-ils pas mi-loup mi- humain ? Mais, ce n’est pas cette caractéristique qui les définit. Ame sera une petite fille pleine de vie, Yuki un être fragile. Après tout, le film aura pour sujet non pas ces enfants extraordinaires, mais le portrait de cette mère courage (Hana) qui permettra l’épanouissement de cette famille contre vents et marées.


La frontière entre animation et oeuvre filmique se voile également sous le talent de Hosoda. Au delà de la consistance psychologique de ses personnages, Hosoda se place en véritable réalisateur. Il construit ses cadres et ses plans avec les mêmes armes que ses collègues qui travaillent hors de l’animation. Il filme ses corps animés comme s’il voulait nous montrer qu’ils étaient des êtres en chair et en os. Il ne se contraint pas dans sa mise en scène, puisque l’animation permet tout, mais il filme à la manière d’un Casavettes. On pourrait croire qu’il a posé une caméra dans les pièces de la maison d’Hana et qu’il laisse déambuler et vivre, sous nos yeux, des êtres qui sont pourtant la définition même d’imaginaire: car dans une oeuvre filmique (en général) si la psychologie est fictive, le physique lui renvoie toujours à une réalité hors-caméra. Hosoda montre comme un respect envers ses protagonistes qui se laissent approcher. Il utilise aussi des plans surprenants pour l’animation: des plans d’ensemble, des plans dans lesquels les personnages déambulent de dos, ou encore des plans qui cachent leur visage. Il porte un regard sur eux qui leur donne une présence charnelle. Le visage est le maître du cinéma d’animation, c’est le moyen d’excellence pour que le spectateur comprenne l’émotion que le personnage doit faire transparaître. Mais Hosoda préfère à cela la retenue et les détails de la gestuelle, de la voix. Pourtant il s’inscrit dans l’art du manga où la finesse de l’émotion est la moins subtile, il dépasse les lacunes de ses prédécesseurs. Il crée des entités qui acceptent d’être le temps d’une oeuvre les sujets d’un récit qui leur est propre et il donne de l’humanité à ce qui en à le moins.


Les oeuvres d’Hosoda sont singulières dans le monde de l’animation. Il transcende les genres cinématographiques, accouplant la beauté formelle de l’animation, la puissance de la mise en scène et la finesse psychologique des grands observateurs de l’âme humaine.


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Contrechamp

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