La première réussite des Garçons sauvages réside dans sa prise de risque : un film fantastique qui propose au spectateur une expérience singulière et insolite, qui s’approprie de nombreuses références mais dégage une identité personnelle forte, c’est rare. Bref, le spectateur ne s’ennuie pas : chaque plan offre quelque chose à voir, à entendre, à penser ; il s’agit d’un vrai film-expérience.
Un film-expérience plutôt qu’un film expérimental, heureusement. Ayant vu deux ou trois courts métrages de Bertrand Mandico, je redoutais un peu de passer 1h50 en compagnie de son film : j’apprécie les expérimentations formelles radicales absconses lorsqu’elles durent 10 min, un peu moins lorsqu’elles durent 2 heures. C’est le problème d’un certain cinéma expérimental : difficile de toucher, d’intéresser sur la longueur.
J’ai vite été rassuré : le film a une forme fictionnelle, des personnages, une histoire.
Et c’est la force du film : comme son histoire est simple, Bertand Mandico peut se permettre de la mettre en forme comme il l’entend ; le spectateur n’est jamais perdu, ne perd jamais de vue la trajectoire et les rapports entre les personnages et peut ainsi s’abandonner aux délires visuels du réalisateur. Le film produit ainsi des images et des moments mémorables, voire agréables, comme un rêve que nous pourrions reconnaître sans toutefois cesser de nous surprendre.
Le film a justement la texture d’un rêve et met en scène un imaginaire érotico-bizarre fort, notamment lors de sa partie sur l’île. Il parvient à créer une atmosphère luxuriante et poisseuses, riche en sécrétions : le film est organique, on ressent parfois un malaise physique face à certaines séquences. Mais l’inconfort est contrebalancé par l’aspect ludique du film, qui joue avec la matière : son humour, très axé sur le pipi et le sperme, est puéril, mais pas au mauvais sens du terme (Rabelais et Rimbaud aussi avait un humour très pipi-caca).
Ce jeu avec la matière n’est pas gratuit, et sert son histoire. La matière est malléable, se transforme et permet la métamorphose ; et le film prend justement pour sujet la plasticité.
Une plasticité qui est surtout celle des personnages, qui oscillent entre l’homme et la femme, entre le masculin et le féminin. Sur ce point, le film fascine et trouble : les cinq actrices ont vraiment l’air d’être cinq jeunes hommes ; elles ont plus tard, et c’est moins étonnant, vraiment l’air de cinq jeunes femmes.
La plasticité est enfin évidemment celle des pénis (en plastique, donc), dont il est à mon goût un peu trop question (entre les pénis montrés, camouflés, et les pénis easter eggs, il doit en avoir au moins une centaine – et c’est beaucoup). Mais il est toujours plaisant de voir un auteur jouer avec ses obsessions et les assumer jusqu’au bout.
Bref, le film déploie une vision du monde fondée sur la labilité de la matière, des corps et des esprits qui s’incarne dans des images belles et bizarres : sa fougue et sa sauvagerie, qu’il partage avec les garçons/filles du titre, suscitent l’enthousiasme – du moins le mien – et rafraîchissent le paysage audiovisuel français.