Moins connu que l'ensemble des autres films unissant le couple Humphrey Bogart/Lauren Bacall (« Le Grand Sommeil », « Le Port de l'angoisse »), « Les Passagers de la nuit » surabonde pourtant d'idées en capharnaüm, le conduisant à une modernité étonnante pour son époque. Narrant l'histoire de Vincent Parry, évadé de prison cherchant le véritable meurtrier de sa femme, « Les Passagers de la nuit » est moins un simple film noir entremêlant tension, flics et duo mythique raisonnant au son du swingue, qu'un long-métrage entièrement consacré à une crise identitaire. La première heure est exhaustivement filmée en plan subjectif, appelant le spectateur à l'empathie pour le personnage principal, dont on ne verra pas le visage avant plus d'une heure de film. Accédant à une contemporanéité ineffable et non-content de maitriser une mise en scène diablement originale, le réalisateur Delmer Daves (plus connu pour ses westerns pro-indien comme « La flèche brisée » ) passe du formalisme à l'existentialisme à travers les yeux d'un protagoniste sans visage, puis sans parole, traqué, puis traqueur traqué. À travers ce procédé, le réalisateur ramifie l'être et la représentation publique du héros, personnifié par un Humphrey Bogart envoutant.


Erreur judiciaire, évasion, talion et crise identitaire sont donc les principaux éléments occupant le cœur de ce film noir onirique exécuté avec élégance. Après qu'il se soit entièrement fait refaire le visage dans une clinique de chirurgie esthétique douteuse, Vincent efface sont mystère en se montrant totalement, et la forme de « Les Passagers de la nuit » devient plus classique, prenant l'allure d'un film noir authentique où se croisent fumée de cigarette et personnages cabalistiques. Mais le problème de l'identité n'est pas pour autant résolu. Pour ne pas gêner la cicatrisation après la chirurgie, Vincent est obligé de rester coi, et ne peut plus communiquer avec l'extérieur qu'en faisant bouger ses yeux. Une fois le masque retiré, Vincent cherche à découvrir qui peut être le véritable meurtrier de sa femme, qui en plus lui a fait porter le chapeau. À ce stade, il est métamorphosé en anti-héros, multipliant les tribulations et constatant que graduellement, l'étau se ressert autour de lui. Profitant sans la moindre indigence du charisme d'Humphrey Bogart et Lauren Bacall, Delmer Daves, bluffant d'audace, joue divinement avec l'alchimie réunissant les deux acteurs. Œil de velours se baladant dans les recoins de San Francisco, « Les Passagers de la nuit » narre avant tout l'histoire d'un homme cherchant la rédemption dans le regard des autres. On ne survie ici qu'en rêvant d'ailleurs (le Pérou)...

Kiwi-
8
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le 31 mai 2016

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