650 000 euros ! En 2015, les Golden Globes et les Oscars sélectionnent un film en langue étrangère avec un budget de 650 000 euros ! Mandarines, une coproduction entre l’Estonie et la Géorgie, va concourir à Los Angeles face à des films plus onéreux comme Ida de Paweł Pawlikowski (2,6M USD), ou Léviathan d’Andreï Zviaguintsev (7M USD). Pourtant, le long-métrage du réalisateur géorgien Zaza Urushadze n’a rien à leur envier.
Même si les débuts ont été compliqués pour l’équipe de Mandarines, la difficulté à trouver des financements ayant retardé le tournage de plus de deux ans, le film finit par rentrer dans son budget. Les dépenses concernant les droits artistiques du long-métrage sont très faibles. Le réalisateur géorgien a écrit lui-même un scénario original, sans co-auteur. La bande son du film est également une composition originale signée Niaz Diasamidze, écrite pour un duo à cordes. Pour les dépenses en personnel, Mandarines est tourné presque intégralement sur un même plateau en extérieur, avec une équipe technique réduite au strict nécessaire. Le coût de l’équipe artistique est dérisoire : le tournage a nécessité dix-huit acteurs, en comptant les figurants et les silhouettes. Seulement quatre personnages sont récurrents. Il n’y a qu’un costumier, et deux personnes dans l’équipe maquillage et coiffure. Enfin, pour les effets visuels numériques en postproduction, seulement quelques plans ont été truqués pour des besoins très précis.
Ces mandariniers du film se tiennent dans l’espace restreint que nous avons créé en tentant d’y enclore le monde entier - Zaza Urushadze
Pourtant le film dégage une énergie sans borne. Par le génie du scénario et une mise en scène minutieuse, chaque dépense est rentabilisée. L’écriture de Zaza Urushadze suit minutieusement le principe du « fusil de Tchéckov ». Selon ce principe du dramaturge russe Anton Tchekhov, chaque détail dans un récit de fiction doit être nécessaire et indispensable. Ainsi, la narration de Mandarines délaisse toute création superflue. L’histoire du film se déroule sur sept jours qui sont narrés les uns à la suite des autres selon des liens de causalité : aucun flashback ou flashforward, aucune perturbation narrative de l’ordre chronologique. Chaque dialogue participe à soulever un questionnement chez le spectateur. Même dans la mise en scène, rien n’est laissé au hasard. Le décor est dépouillé de tout artifice, les personnages portent les mêmes vêtements durant les sept jours. Les actions des protagonistes suffisent à les caractériser, et en disent longs sur leurs intentions. Les scènes s’enchaînent et les questions se multiplient. On attend alors avec impatience la fin du film pour obtenir des réponses.
Cette philosophie, qui s’accorde parfaitement avec l’économie du film, permet à Mandarines de développer avec une narration solide, une histoire qui porte un message universel. Zaza Urushadze nous raconte l’exil de la communauté estonienne de Géorgie pendant la guerre civile de 1991-1993. Il pose sa caméra dans une chaumière qui va réunir fortuitement différents belligérants de ce conflit. Même si le film simplifie la réalité historique, il trouve avec justesse le moyen de démontrer l’absurdité des affrontements. On découvre au fur et à mesure du film que les enjeux de cette guerre sont plus politiques et économiques qu’humains. Pourtant ce sont bien des hommes qui décèdent, des voisins qui partagent les mêmes anxiétés, aspirations et sentiments.