Il est communément admis qu’il est difficile de parler de manière construite et objective d’une œuvre que l’on aime, tant le recul est compliqué à prendre. Mais l’exercice est d’autant plus difficile lorsque le film est du niveau catastrophique de “Megalopolis”, naufrage absolu de Coppola qui, pourtant auréolé à juste titre d’un statut officieux de maître du cinéma, livre une œuvre dont il est difficile (impossible) de tirer une qualité.
Le contexte de la création du film, lui, risque de rester plus dans les annales que le métrage en lui-même ; projet fou du réalisateur qu’il macère depuis près de cinq décennies, “Megalopolis” s’est vu pendant tout ce temps refuser les financements par les producteurs de par son ambition et sa démesure hallucinantes. Sur le papier, le film de Coppola est une promesse exceptionnelle, aux décors, propos, visuels, effets, casting, rocambolesques. Depuis quasiment un demi-siècle, les cinéphiles attendent fébrilement le projet d’une vie de ce cinéaste comptant parmi les plus importants de son temps. Après un énième refus, Coppola a donc décidé d’hypothéquer ses biens (ses vignobles en l’occurrence) afin de financer, “himself”, son projet complètement taré. C’est donc endetté et fort de cinquante ans de développement en interne que nous parvient “Megalopolis”, précédé de ce contexte et promettant, sauf par quelque mauvais miracle, de tourner une nouvelle page de l’Histoire cinématographique.
L’atterrissage est rude face au résultat final de tout cela : “Megalopolis” est indéniablement l’un des pires films de l’année, voire de la décennie.
Difficile de structurer son avis face au fouillis innommable que représente le film, aussi tâchons de compartimenter en commençant par le scénario.
Fruit de plusieurs décennies de travail et de maturation, l’intrigue de “Megalopolis” se voit être condensée sur 2h15, durée vraisemblablement insuffisante tant Coppola s’évertue à bourrer un maximum de choses dans son script, rendant le tout tellement indigeste qu’il en est vomitif. Que ce soit les personnages ou les sous-intrigues, le scénario du long-métrage est l’un des plus brouillons qu’il m’ait été donné de voir ; “Megalopolis” est un film incompréhensible, pas tant par une volonté cinématographique un peu perchée mais intéressante de faire du cinéma”à clé” comme celui de David Lynch par exemple, mais bien par une totale incapacité à construire une histoire tangible avec un début, un milieu et une fin.
En effet, les personnages ne seront jamais introduits mais toujours plus multipliés, atteignant le nombre d’environ une grosse vingtaine sans pour autant que je ne sois capable d’en nommer un seul tant ils sont insignifiants et balancés dans un scénario sans relief ni but. Les relations entre les protagonistes sont soit superficielles, soit tombées de nulle part, et il arrive régulièrement que l’on se retrouve face à deux personnages que l’on a jamais vus ensemble à l’écran et qui, la scène d’après, se retrouvent mariés et avec un enfant.
Cela n’est qu’un exemple, mais il est symptomatique de la pitoyable écriture du métrage, qui fait primer la quantité sur la qualité. Ainsi, aucun personnage n’est attachant, aucun ne fait preuve de profondeur. En résulte un ennui absolu et constant pour le spectateur, et un “acting” affreux de la part des comédien.nes qui semblent ne pas plus comprendre que nous ce qui se passe dans “Megalopolis”. Tout le monde est en roue libre, nous y compris, et rien n’est maîtrisé.
Outre l’horrible traitement des personnages, le scénario ne parvient pas plus à nous intéresser par son histoire : brouillonne, désordonnée, illogique, inintéressante et dénuée de tout propos artistique, politique ou esthétique. “Megalopolis” est un film totalement dépassé à bien des égards, n’ayant rien à raconter sur un monde avec lequel il n’est même plus en phase. Il faut le voir pour le croire, mais le film est si superficiel et vain, en plus d’être vraiment incompréhensible, que l’on en vient à se poser la question de sa raison d’être, tout en se demandant pourquoi ce projet précisément animait son auteur depuis si longtemps.
Une fois encore, on pourrait croire que Coppola cache l’intérêt de son film dans des couches de lectures difficiles d’appréhension et de compréhension. Il n’en est rien, le “Megalopolis” n’étant pas incompréhensible pour les bonnes raisons. aucun propos caché ne serait à déceler, c’est simplement (et tristement) ce qui s’appelle une mauvaise écriture.
Cela se ressent particulièrement dans les références, outrageusement appuyées, à la Rome Antique, époque avec laquelle Coppola souhaite hybrider son film. À cet égard, tout est vulgaire et laid, ce mauvais goût atteignant son apogée lors des cartons de transition du film, sortes de murs en marbre gravés aux espèces d’envolées lyriques étranges de Coppola. C’est moche, c’est vide de sens et c’est poussif dans sa signification. Que demander de mieux ?
Une fois le scénario abordé, nous pourrions croire que le pire a été dit sur “Megalopolis”. Malheureusement, pas tout à fait. Outre les interprétations des comédien.nes dont nous avons déjà rapidement parlé (et dont il n’y a pas vraiment plus à dire sur leur médiocrité, sûrement à incomber à l’absence de toute direction de la part du cinéaste), penchons-nous sur l’autre immense point noir du film : ses visuels.
(Vous l’aurez remarqué, scénario et visuels sont souvent parmi les deux pans les plus importants d’un long-métrage ; ici, les deux sont ratés. C’est donc dire).
“Megalopolis” s’ancre dans une sorte de pseudo futur distopyque, dont le protagoniste principal souhaite faire une utopie. D’un point de vue de direction artistique, seules peu de choses fonctionnent. La représentation des décors est datée (remontant probablement à quand Coppola a débuté son projet, presque un demi-siècle en arrière), et l’utopie revendiquée ressemble à la vision du futur des années 1960. Point de rétro futurisme à la Blade Runner, mais bien un aperçu archaïque de ce que l’on s’imaginait être le futur il y a 50 ans, avec voitures volantes et bulles de transport dans une atmosphère lisse, vitrée, dorée et jaune pisse.
Cette esthétique globale du film n’est pas aidée par les effets spéciaux, pourtant servis par un budget mirobolant de 120 millions de dollars (!!!). La technique employée est celle d’écrans à très haute résolution placés autour du plateau de tournage et diffusant, en temps réel, les images du décor. Ainsi, les comédien.nes peuvent évoluer au milieu de ces décors artificiels et pourtant présents autour d’eux. Le seul souci est que de cette technique, difficile à employer sans paraître factice, Coppola ne fait rien. N’en résulte qu’une impression de faux en permanence, comme si les personnages étaient en permanence incrustés grossièrement sur la pellicule.
Je retiens néanmoins deux très belles courtes scènes (c’est peu, mais c’est déjà ça) : l’une convoquant d’immenses statutes de marbre prenant vie, et l’autre montrant des ombres projetées sur un building par des lumières d’explosion. Outre cela, pas grand-chose d’autre à se mettre sous la dent, mais il faut vraiment souligner la véritable splendeur de ces deux plans.
Beaucoup est donc à dire, paradoxalement, sur ce film qui ne raconte rien. Aussi, le mieux est, si vous en avez la curiosité, d’aller au cinéma pour constater l’étendue des dégâts de la dernière “proposition” du grand Coppola, impossible à résumer en quelques lignes ici.
Quelques voix s’élèvent ci et là pour promouvoir ce qui serait un film de génie ; ne vous y méprenez pas, il s’agit là des dires de personnes qui encensent son cinéaste. Le fait est que si “Megalopolis” avait été réalisé par quelqu’un d’autre, personne ne serait monté au créneau pour le défendre.
Vous l’aurez donc compris, malgré le manque d’exhaustivité de ma critique, que “Megalopolis” est un total plantage dont presque rien n’est à tirer. Si ce n’est que le film rappelle l’importance primordiale des producteur.rices pour cadrer un tournage, et dont Coppola aurait peut être dû se doter.
“Megalopolis” est bien l’œuvre éponymement mégalomane de son auteur, Monsieur Francis Ford Coppola, mais dont la prétention ne permet même pas d’avoir une quelconque once d’amusement. Le nombrilisme de ce projet complètement raté peut se résumer à cette anecdote (pourtant présente dans l’intrigue du film) : les personnages joués par Adam Driver et Nathalie Emmanuel vont avoir un enfant. On demande à Adam Driver quel sera le nom de l’enfant à naître. Celui-ci, avec beaucoup d’émotion, répond simplement, comme annonçant l’arritvée du Messie : “Francis”.