Aimez vous les puzzle? C'est la question que pose la mystérieuse voix féminine à l'inspecteur Ray King. Car le film tout entier est un puzzle, qui de sa première à la dernière scène se construit sous nos yeux, nous propose d'explorer la vie de Christian Wolff, aux multiples facettes. Si diverses, que quelque part, cette fiction a des allures de biopic.
Si l'intrigue en-elle même se déroule plutôt linéairement, notre compréhension du personnage, du labyrinthe que représente sa vie mais aussi sa psyché est nettement plus chaotique. Durant la première demi-heure, on nous présente hors contexte une étrange scène de fusillade qu'on entend hors-champ ; un couple marié avec deux enfants dont le plus jeune autiste où la femme choisit finalement de partir - abandonnant sa famille ; notre héros en prison recevant d'étranges conseils de la part de son co-détenu. On découvre des brillants enquêteurs du département du trésor américain qui se lancent à la poursuite d'un criminel notoire, jamais photographié de face, simplement nommé "The Accountant". Et ce même comptable qui aide ses voisins à ne pas crouler de dates en arrangeant leur déclaration d'impôts. Tandis qu'une femme, la seule en qui il ait semble-t-il placé sa confiance, le contacte par téléphone pour lui dire de faire profil bas.
D'expert en nombres à tireur de génie et combattant hors pair, qui est Christian Woflf? Quelle est son histoire, quel chemin l'a mené sur cette route où il navigue désespérément seul, n'écoutant qu'une voix à l'autre bout du téléphone ? Voilà pour le puzzle concret, factuel, et ses allures d'enquêtes dont les révélations ponctueront le film... Les flashbacks sur son enfance sont déchirants, avec ce père militaire terriblement dur et aimant qui façonne ses fils dans un roc d'acier ( https://www.youtube.com/watch?v=iT0rsxUtr6Y ). De même, la révélation sur ce que représente cette étrange fusillade du début ou le drame qui l'a mené en prison marquent vraiment. Mais c'est le tout qui reste fascinant, pas seulement dans son aboutissement, mais dans sa construction menée notamment par l'enquête des agents à sa poursuite, à l'image d'un puzzle où le plaisir vient de rassembler les morceaux autant que d'admirer le résultat, le film prenant soin de n'apposer la dernière pièce qu'à sa toute fin.
Au niveau de la psyché, on suit un personnage autiste. Gavin O'Connor offre au Batman de l'époque l'occasion de montrer à quel point il peut être brillant. Évitement permanent du regard, dialogues très particuliers, tocs, on nous présente un personnage des plus délicats à aborder, pour le spectateur mais aussi pour les autres protagonistes. Rajouter à cela une ambiguïté morale de tous les instants, et on obtient un héros pareil à nul autre. Comptable génial, ange gardien, dangereux criminel ou justicier aux mains sales... Wolff est avant tout un homme qui n'arrive pas à créer du lien social. Face à lui, Jon Bernthal, J.K. Simmons et Anna Kendrick. Chacun a une forme de lien avec notre homme, mais se retrouve confronté au mur de l'autisme et doit se poser beaucoup de questions. Entre amour fraternel en somptueuse mosaïque craquelée, dilemme moral, et romance impossible (la scène de l'hôtel est tellement touchante, accompagnée tout du long par l'anecdote si juste de la robe), le portrait de la vie qu'on nous décrit est aussi le cri de douleur et de solitude d'un homme qui nage à contre-courant contre son trouble, et qui parvient peut-être, à trouver à chaque jour sa victoire...