Night Moves, dernier film en date de Kelly Reichardt, est une œuvre en totale apesanteur restant durant toute sa longueur confinée dans ses non-dits et dans le minimalisme de son scénario qui dresse un constat amer sur les consciences écologiques d’une jeunesse en quête de révolution. La réalisatrice trace les traits de son film avec pertinence en deux parties cohérentes mais bien distinctes où la fébrilité psychologique de la culpabilité va remplacer la réalité mécanique des faits. Josh travaille dans une ferme biologique, est un mec lambda un peu mutique, on ne sait pas grand-chose de plus sur lui ni sur ses deux autres complices d’ailleurs. Il se réunit avec d’autres écologistes en soirée pour parler du problème environnemental de la planète mais tout cela parait bien surfait idéologiquement parlant, restant loin des problèmes concrets, juste bon à enjoliver notre conscience personnelle. Avec Dena et Harmon, il va passer à l’acte pour détruire un barrage d’eau. Pourquoi ? Depuis quand ont-ils cette idée ? Comment se sont-ils rencontrés ? Difficile à dire, on assiste juste à la préparation étape par étape de cette machination qui se déroule dans un emboitement sans accrocs où l’écologie se détruit elle-même sans le savoir. Kelly Reichardt préfère disséquer leurs actions plutôt que leurs émotions.
On ne sait pas grand-chose sur les personnages (l’un est sorti de taule, l’une est une fille à papa), on ne connait pas réellement les liens qui les unissent même si on décèle quelques moments de jalousie mais dès le début les visages sont inquiets, les questionnements sont furtifs. A l’image de ces trois protagonistes, qui n’auront cesse de vouloir rester invisibles aux yeux du monde que cela soit par les caméras des supermarchés, par les passants ou même par la police, la lisibilité de leur volonté reste difficile à déchiffrer. La réalisatrice ne s’épanche pas sur les revendications ou les motivations de ce jeune trio. Peut-être parce qu’il y en a tout simplement pas ou qu’elles peuvent paraître trop factices. Quelle que soit la cause mise sur un piédestal, mérite-t-elle un tel acte. Kelly Reichardt efface tout intérêt narratif aux conséquences de cet agissement sur l’environnement naturel mais pose son regard sur les sensations et les relations qui vont naître en chacun des personnages. Travaillant au mieux son cadrage et son montage, la mise en scène est d’une méticulosité impressionnante, chaque plan détient une atmosphère naturaliste humble où malgré la simplicité et le réalisme presque banal des situations dans un univers biologique, le film va se voir inonder d’une touche menaçante qui s’intensifiera au fil des minutes.
Petit à petit l’immensité de la nature va se renfermer sur eux. Tout ou presque tout se passe en hors champ ou arrière-plan, comme cette explosion de barrages que l’on ne voit pas mais que l’on entend. Après cet acte où les trois complices s’étaient promis de ne plus communiquer entre eux, les conséquences de leur crime vont les déborder littéralement pour les envahir d’une culpabilité et d’une paranoïa débordante, suite à la mort d’un campeur. Les enjeux moraux vont prendre corps et en corrélation avec sa mise en scène adroite et la délicatesse de sa direction d’acteur, Night Moves essaye avec subtilité de capter les sensations plutôt que les pensées de ses trois activistes. C’est à ce moment-là que l’ampleur de leur complot commence à les dépasser et les aspirer dans une spirale paranoïaque qui va faire resurgir la solitude de tout un chacun, l’appréhension face à l’inconnu, la peur d’être découvert. Night Moves est un questionnement subtil sur l’horizon écologique parfois austère pour devenir un bouillonnement psychologique se finissant sur une fenêtre ouverte violemment ambiante. Un grand film mineur.