Il y a toujours un plaisir non dissimulé à découvrir tous les trois ans un film de Jordan Peele. Les vieilles barbes y retrouvent la fibre de Twilight Zone, la verve d'un Carpenter et quelques lueurs thématiques d'un Spielberg encore à ses prémices. Quant aux peaux neuves, l'assurance d'un véritable auteur en totale osmose avec leur époque. De cette somme de qualités flatteuses, il est néanmoins difficile de départir l'artiste de sa quête sociale extrêmement clairvoyante (la famille high class blanche de Us ou la gentrification du remake de Candyman) jusqu'à l'inévitable question d'ordre morale de Get Out: Peut-on rire de tout ? Oui mon Capitaine mais pas avec tout le monde car le citoyen du vieux continent est-il suffisamment souple pour qu'au XXI ème siècle, on lui assène de nouveau les clichés de l'afro-americain qui courre vite ou encore qui en a une grosse ? Humour au douzième degré ou gifle gantée de la part d'un Peele malicieux, il faudra nécessairement faire un choix.
Fort heureusement, Nope, ne tète pas la même mamelle. À la place le spectateur se devra d'enquiller trois amorces narratives en guise d'amuses-bouches qui devront nourrir un métrage d'une durée de 2H10. La première, sociale, voyant une famille afro-américaine en terre californienne élevant des chevaux dans un ranch. Une réappropriation des terres de l'ouest par une communauté, qui, au même titre que le peuple asiatique, a jouer un rôle prépondérant au XVIII ème siècle sur les terres de L'Oncle Sam. Nope s'offre en toile de fond un décor westernien contemporain propice au duel. La seconde se focalise sur le genre à l'état pur: L'invasion extra-terrestre dans une région reculée. La dernière, plus thématique et excitante puisqu'elle creuse l'idée de l'importance de l'image par voies fictionnelles (l'incident du singe Gordy dans une sitcom), mais aussi par le filtre du documentaire (le climax shooté en caméra mécanique par un chef opérateur de renom) en passant par les caméras de surveillance extérieures installées aux quatre coins du ranch. Dans les cieux, l'oeil ventral d'un vaisseau - un trou béant - renvoyant le regard de l'envahisseur comme un face-à-face inexorable entre l'homme et l'extra terrestre basé sur un concept très abstrait de captation de l'extraordinaire par différentes optiques.
Sur des bases narrativement saines, Jordan Peele exécute l'exercice le plus périlleux qui soit: Donner du sens à ses trois pistes tout en tissant un lien solide avec son spectateur. L'attente suscitée par ses trois appâts ne viendra, bien entendu, jamais. Et Nope de révéler au trois quart de son parcours une absence de propos laissant s'agiter ses acteurs dans le cadre sans que l'on en comprenne les tenants et les aboutissants. Ce flou artistique révèle aussi une note d'intention extrêmement pauvre, comme s'il suffisait au réalisateur de Get Out de laisser le soin à son auditoire de faire le lien entre ses différentes approches. Un moyen que Peele ne peut se permettre tant l'absence d'écriture n'est comblée par une narration visuelle qui ne prendra jamais le relais. La symbolique, elle-même tant appréciée par les "cinéphiles décortiqueurs" de seconde lecture n'auront rien à se mettre sous la dent parce que Nope sous ses airs d'objet visuel référentiel à Spielberg ou Shyamalan confond la pratique et le théorique. Imaginez l'espace d'un instant la baudruche du climax en lieu et place du grand blanc de Jaws et cela donnera une idée assez précise de l'aveu d'échec auquel se confronte l'auteur de Us. Jordan Peele ne s'est-il pas rêvé en grand auteur puissant capable de rivaliser avec ses idoles en terme de mise en scène et de storytelling ? La réponse est à l'écran et dénote fortement des carences qui mettront du temps et du métier à être comblées.
Il n'y a donc pas de projet de (C)inéma viable derrière l'entreprise, quelque chose qui serait à même de brosser le portrait de notre société ou d'être un révélateur contemporain de nos maux. Il ne restera de cette mollesse cinématographique que sa représentation concrète, celle d'un Daniel Kaluuya complètement dévitalisé se demandant ce qu'il est venu faire dans cette entreprise au renoncement certain. Nope n'a jamais si bien porté son titre.