Osen la maudite par Alligator
mai 2011:
D'habitude avec Noboru Tanaka, il me faut toujours un peu de temps pour m'enthousiasmer. Or, ici, dès la fin du film, j'ai ressenti un vif contentement. Peut-être pas aussi éclatant que celui qui se manifesta lorsque je découvris mon premier Tanaka, il y a quelques années de cela ("Marché sexuel des filles"), mais suffisamment intense pour qu'une espèce de fièvre me prit à l'heure de choisir mes captures.
En effet, cette "Osen la maudite" est un petit chef d'œuvre esthétique. Comme souvent chez Tanaka. Et pourtant, le film ne propose pas non plus une avalanche continue de plans somptueux, de cadrages mirobolants. Il y en a, certes, un assez grand nombre pour que le choix des captures nécessite réflexion, mais disons que Tanaka fait surgir ce plaisir de voir, non pas essentiellement dans le cadrage, mais plutôt dans les mouvements de caméra et dans l'enchainement des scènes, ce qui n'est pas facile à rendre compte avec les captures. On retrouve ses marottes formelles, les travellings, les changements de couleurs ou de luminosité dans un même plan-séquence et également ces gros plans qui scrutent l'expression, le regard des comédiennes. C'est donc une mise en image très léchée et complexe qui, de prime abord, suscite le grand plaisir cinéphile du public.
Progressivement la thématique fétiche du cinéaste se fait jour. Dans une large mesure, "Osen la maudite" est extrêmement proche de "Marché sexuel des filles" : on y découvre des personnages féminins très forts, assaillis par la cruauté, l'absence d'humanité des mâles, la sécheresse d'âme d'une société ultra violente à l'égard des femmes. Osen est la copie de Tomé. Ce sont deux putes insoumises qui essaient de survivre tout en gardant un espace de liberté dans leur asservissement.
Le féminisme de Tanaka était pour moi juste une idée séduisante, mais implicite jusque là. J'ai la conviction qu'avec cette "Osen, la maudite" ce féminisme est de plus en plus explicite. D'ailleurs Osen n'est pas la seule à se battre contre la vilenie phallocratique, les duperies des hommes, leurs sexualités violentes et sans partage. Une jeune aveugle (Yuri Yamashina) joue du peigne ornemental vengeur pour préserver sa dignité et va même jusqu'au suicide.
Le film ne doit pas uniquement sa puissance aux thèmes abordés et aux soins pris sur le plan esthétique mais également à l'interprétation.
Bien entendu, Rie Nakagawa est, prise dans l'œil de la caméra tanakienne, une actrice aux talents d'abord insoupçonnés (en ce qui me concerne bien sûr). Avec sa tête ronde et sa peau maquillée, laiteuse, elle fait figure de marionnette de porcelaine. Oh? Comme par hasard, elle va être le jouet d'une manipulation éhontée de la part d'un marionnettiste! Un montage heureux, tout en finesse, fera d'elle une marionnette très concrète, dans les bras de son amant, consentante sans être dupe. Elle fait l'amour avec lui juste parce qu'elle en a envie, par pour lui donner du plaisir mais pour prendre le sien. Souvent chez Tanaka, les femmes adoptent une attitude féministe sans pour autant revendiquer. Je veux dire par là qu'elles ne cherchent pas à prendre la place des hommes, à les rabaisser, elles ne prennent que leur dû. Les hommes sont des machins bien compliqués et elles ont déjà assez à vouloir s'affirmer elles même sans en plus entamer une guerre des sexes vaine. Cette guerre, ce sont les hommes qui la déclarent, ne supportant pas l'emprise et l'indépendance d'Osen. Ce sont eux qui mêlent conflit et sexualité. Les femmes doivent subir. Bon, ça y est, je me suis fait eu : je suis parti dans des digressions à l'intérêt suspect et j'en oubliai mon propos sur l'atout Rie Nakagawa.
Je ne la trouve pas exceptionnellement belle et pourtant à la filmer de si près, Tanaka lui donne l'occasion de faire briller son talent de comédienne à la palette d'expressions étonnamment riche. Elle impressionne sur tous les tons. La profondeur de son regard est très émouvante. Elle a aussi l'heureux avantage de posséder un très joli corps.
Tenez, au passage, je m'empresse de dire que le film est très peu érotique finalement pour un "roman porno". Pour ceux qui ne connaissent pas encore le sens de cette expression, sachez qu'un "roman porno" n'a rien de pornographique, il s'agit d'un genre érotique typiquement japonais.
Tanaka s'attache surtout à filmer les visages, cherche l'idée pour filmer au mieux le plaisir, la peur, la colère, l'amour, une main crispée, un cou qui se tend, un regard qui se fige, perdu, la désillusion, la mélancolie, c'est toujours plus beau qu'excitant.
Une autre comédienne que je ne connaissais pas ou que je n'ai pas reconnue, Yuri Yamashina m'a tapé dans l'œil. Dans un rôle pas commode d'aveugle, elle arrive à exprimer des nuances surprenantes. Bluffante. Un nom à retenir.
J'adorais "Marché sexuel des filles" et "Bondage", celui-là vient s'ajouter à mes Tanaka préférés.