La singularité, le trouble et la fascination

Dès les premières secondes, PT Anderson réussit son coup : la fascination pour Reynolds Woodcock et pour la relation qu’il entretient avec Alma opère immédiatement.
Les premières images du film, les premières notes de sa bande-son sont tout de suite troublantes. Alma, à peine éclairée, est inquiétante, et c’est elle qui introduit Woodcock : d’emblée, un trouble plane, et le film nous fait la promesse que ces deux personnages, la narratrice et le couturier, sont liés par une relation singulière.


Et justement, le film explore la singularité de ses personnages, de leur couple, de leur monde.


Les films croient parfois qu’ils doivent emmener leurs spectateurs en terrain connu pour les rassurer. Phantom Thread déploie au contraire un monde antinomique au nôtre, que nous ne nous sommes pas en mesure de comprendre : le monde qu’habite Woodcock et que nous découvrons avec Alma dans la première moitié est celui de la création. Les caractéristiques de celui-ci déstabilisent Alma et le spectateur, peu coutumiers de son obsession, de son exigence, de son élégance, de sa beauté.


Et Woodcock est d’abord montré comme le maître de ce monde, comme son bizarre et fascinant démiurge. Et cette fascination tient au fait que le film trouve le bon équilibre pour en parler. Woodcock n’est pas univoque, et il est presque insaisissable : inquiétant et rassurant, salaud et noble. Il est oxymorique et contradictoire : dur mais capable de douceur, égoïste mais parfois généreux.


A partir de là, le film aurait facilement pu virer en une énième variation sur le mythe Pygmalion, être un ersatz de My fair Lady en plus chic, et nous montrer Alma se voir façonnée par Woodcock. Le film déjoue nos attentes, il se révèle plus retors : leur relation devient rapidement plus ambiguë qu’elle en a l’air. Leurs rapports se complexifient : lui n’est pas si maître à bord (on le devine dès le départ, la sœur du couturier semble être la véritable maîtresse de leur monde), et Alma n’est pas une muse comme les autres.


Cette deuxième partie du film, au cours de laquelle Woodcock ne crée plus, explore en surface alors une question peut-être d’actualité, peut-être intemporelle : qui domine qui ? En surface seulement, car une autre question est posée au spectateur : comment ce couple si dysfonctionnel parvient à trouver son équilibre ? Alors qu’on croit anticiper son dénouement, les réponses apportées par le film surprennent, peuvent sembler malsaines. Le film suit tellement la logique émotionnelle de ses personnages et leur façon singulière de faire couple qu’il peut laisser le spectateur dubitatif… ou alors le fasciner.


J’aime la faculté qu’a le cinéma à inventer des affects, à inventer des conduites émotionnelles propres à un seul couple, à une seule situation. On parle souvent de l’importance de l’identification aux personnages, etc. Ici, c’est au contraire parce qu’ils ne nous ressemblent pas que ces personnages peuvent fasciner. Ils expriment des sentiments complexes que nous n’avons pas l’habitude de voir au cinéma, et qui se rapprochent peut-être davantage des sentiments que nous pouvons ressentir.


D’où le trouble, le malaise que peut susciter le film : ses personnages nous ressemblent-ils davantage que nous nous voulons bien nous l’avouer ?


Phantom thread est en tout cas un film dont la musique et les images épousent les idées du film : elles sont vaporeuses, troublantes, fascinantes.

TomCluzeau
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le 20 févr. 2018

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Tom Cluzeau

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