Cette seconde réalisation de Robert Rodriguez est en réalité un téléfilm, issu de la série ‘’Rebel Highway’’, diffusée sur Showtime du 7 juillet au 23 septembre 1994. La démarche était d’offrir à des cinéastes l’opportunité de rendre hommage aux films pour jeunes adultes des années 1950. Derrière les autres téléfilms se retrouvent ainsi des noms aussi prestigieux que William Friedkin, Joe Dante, ou encore l’immense John Milius.
Bien qu’aucuns de ces téléfilms ne soient un remake, les titres sont en revanche ceux de films datant des années ’50. Toutes les œuvres étant originales, elles puisent néanmoins leurs esthétiques dans un imaginaire hérité d’une période perçue aux États-Unis comme idéale. À l’heure du triomphe de l’American Way of Life, avant que tout se casse la gueule le 22 novembre 1963.
Il est donc donné à un tout jeune Robert Rodriguez de 25 ans, la possibilité de livrer sa vision d’une période qu’il n’a connu qu’à travers le cinéma. En cinéaste cinéphile il aurait été étonnant qu’il ne se fasse pas plaisir. Alors seulement connu pour ‘’El Mariachi’’, c’est bien à la sauce de ce dernier qu’il réalise son ‘’Roadracers’’, avec tous les ingrédients nécessaires.
Dude, le personnage principal incarné par David Arquette, est un rebelle bad ass. Perfecto, gomina, jean, clope au bec, il est sans cesse filmé sous un jour hypra-iconique. Donna, interprété par Salma Hayel, apparaît dans un premier temps comme la femme-trophée. Mais elle est aussi rebelle à manière. Jeune fille bien sous tout rapport, elle ne rêve que de liberté, prisonnière d’un foyer qui sent bon le conservatisme et la bonne morale.
Car face à eux c’est toute la société américaine des années 1950, dans tout ce qu’elle peut avoir de plus hypocrite, qui refuse d’accepter leurs écarts. Ou simplement l’idée même qu’ils puissent faire un écart. Dude est en ce sens harcelé par Sarge, officier de police un peu trop zélé, à qui le génial William Sadler prête ses traits.
Dans ‘’Roadracers’’ la société est une bêtise, alors que l’institution fout le camps. Le conservatisme et l’ultra-patriotisme, étouffe complètement une jeunesse qui ne rêve que d’une chose, profiter de leurs jeunesses. Un crime horrible à l’heure de l’uniformisation et du tout générique de l’American Way.
Cette aspect du récit est mis en avant par Nixer (le fantastique John Hawkes), meilleur ami de Dude, et cinéphile aux pulsions irréfrénables. Il est fasciné par ‘’Invasion of the Body-Snatchers’’ de Don Siegel (1956), qui est alors diffusé au cinéma. Après être allé le voir quinze fois, il ne peut s’empêcher de faire la comparaison entre cette oeuvre où les humains sont remplacés par des copies génériques sans émotion, et le monde dans lequel il vit, où les autorités cherchent à tout aseptiser ; au nom de la loi.
Cette fascination de Nixer amène Robert Rodriguez à s’aventurer sur les chemins du métamodernisme, par la présence dans le cinéma d’un type nommé Miles. Interprété par Kevin McCarthy, il n’est autre que le personnage principal du film de Don Siegel. Dès lors Rodriguez inscrit dans la diégèse même de son petit téléfilm sans grande prétention, celle de ‘’Invasion of the Body Snatcher’’.
Par ce procédé totalement méta, il parvient à collusionner un chef d’œuvre intemporel du cinéma fantastique des fifties, avec son hommage personnel provenant tout droit des nineties. Très directement, sans grande finesse, de toute façon ce n’est pas le genre de Rodriguez, il a d’autres priorités, il unit ainsi ses passions, comme un gamin enfermé dans un magasin de jouet ; avec une liberté totale.
Mais le plus fort dans tout ça, est que ça ne nuit absolument pas à la compréhension de ‘’Roadracers’’, c’est fait d’une telle manière que, si ça comble les cinéphiles, ça peut aussi pousser les spectateurices lambda à s’interroger, et à approfondir une curiosité qui peut les mener à découvrir un chef-d’œuvre hollywoodien de genre, datant de la Guerre Froid.
Et c’est ce qui est vraiment plaisant avec ‘’Roadracers’’. C’est un vrai film de Robert Rodriguez, bien au-delà de sa nature de téléfilm il ressemble à une œuvre de cinéma, tellement elle ne parle que de cinéma. Avec son style cru et épuré, Rodriguez raconte une histoire banale, comme à son habitude. La simplicité des synopsis étant assez récurrent chez ce cinéaste qui mise tout sur la manière de raconter son histoire et sur la profondeur de ses personnages. Plutôt que de se lancer dans des récits alambiqués et complexes.
Cela fonctionne particulièrement bien ici, car les trois personnages principaux sont vraiment attachant. Tous les trois rebelles à leurs manières, ils ne sont que des jeunes paumés dans une Amérique où ne domine que la façade. Une nation où ce qui prime est l’image de soit renvoyée aux autres, et non pas s’affirmer en tant que tel. La société guindée, fausse et illusoire ne fait que renforcer le rôle joué par les plus ensystémisés.
C’est une Amérique où tout le monde joue son rôle. Ce que refusent Dude, Donna et Nixer, bien décidés à vivre leurs existences comme ils l’entendent, avec leurs propres règles. Ce qui les amène à se dresser face à un establishment dans lequel ils ne peuvent pas se reconnaître.
Toujours à la frontière du nihilisme, le cinéma de Robert Rodriguez parle de son temps, avec une brutalité maquillé par un sens très prononcé pour l’absurde. Ce qui fait que même lorsque le propos est profond, ça reste fun à regarder. Inspiré par un grand nombre de références, l’ombre de James Dean plane au-dessus d’un métrage fort de son atmosphère rock n’ roll, avec ces jeunes paumés qui se consument, en réaction au génétisme d’une société au bord de l’implosion.
Il est difficile en voyant ‘’Roadracers’’ et son personnage principal de ne pas penser au ‘’Rebel Without a Cause’’ d’Anthony Mann en 1955. Tellement le jeu et l’attitude de David Arquette proviennent principalement de James Dean. Mais c’est au-delà du personnage, c’est toute l’atmosphère, sa musique, ses voitures, sa violence et le pessimisme ambiant, qui rappellent cette époque faussement insouciante.
Les références ne s’arrêtent pas aux années 1950, des liens avec le ‘’American Grffiti’’ de George Lucas en 1973, sont à noter. Comme ces jeunes qui errent sans but dans la ville la nuit venue, à bord de leurs véhicules rutilants. Ciblés par l’ennui, tout ce qui leur donne envie de s’amuser, est mal perçu par le monde des adultes, celui d’une autorité dépassé, qui refuse de voir leurs enfants devenir les adultes qu’ils se préparent à être.
Au final, ’’Roadracers’’ c’est un petit film qui aurait vraiment mérité une exploitation au cinéma. Tellement il n’existe que pour et par le septième art. Avec un cinéaste qui maîtrise son sujet, esthétiquement fidèle à lui même, avec ces mouvements de caméra évoquant un cinéma du passé à la sauce pop, tout comme cette manière de toujours mettre ses protagoniste dans une position iconique. Alors que son art est en train d’éclore, après ‘’El Mariachi’’ la machine Rodriguez se met en route, vrombissante, déterminée, peu soucieuse des règles à suivre. À l’abordage d’Hollywood pour proposer un cinéma alternatif, personnel et diablement jouissif..
-Stork._