Neuf mois après la vision très scolaire et consensuelle de Jalil Lespert, sort sur nos écrans un nouveau biopic sur la vie du célèbre créateur. Il passe cette fois-ci par le prisme plus radical et audacieux de Bertrand Bonello, et surpasse son prédécesseur en tout point. L’ambition du projet prend enfin toute son ampleur. Au-delà du personnage iconique qu’est Yves Saint Laurent, c’est toute une époque et un univers que le réalisateur parvient à rendre réel et palpable. On est immergé dans les années 70, son insouciance et ses excès, à des années lumière de l’esprit documentaire, à la limite de l’hagiographie, du film de Lespert.
De superbes plans séquences particulièrement chiadés, comme chez Régine, haut lieu de la nuit parisienne à l’époque, des jeux de miroirs, quelques envolées oniriques, des splits screen bien pensés, Bonello prend clairement le parti de la fiction et de l’exigence formelle. Exigence que l’on retrouve dans la manière qu’a le réalisateur de magnifier les couleurs et les lumières, que ce soit à travers la chatoyance des costumes ou la précision des décors du film. Des couleurs vives et éclatantes qui contrastent avec l’humeur torve et sombre du héros. La musique de l’époque (et pas les plus vilains morceaux) jouée à plein volume, finit de nous projeter 40 ans en arrière.
Car une fois le cadre installé, il est temps de s’intéresser au mythe. Là aussi, impossible de ne pas comparer les deux interprètes qui l’ont incarné à quelques mois d’intervalle. Si Niney livrait une performance incroyable, son Saint Laurent apparaissait vulnérable, faible, mais séduisant et attachant. Ulliel, aidé par un scénario plus complexe, va plus loin et fouille les méandres d’un esprit génial mais clairement torturé, faisant apparaître plus clairement les démons qui hantaient le créateur. Egoïsme, autodestruction, addiction, tendance à la victimisation, ce Saint Laurent là est peu aimable. Charmeur malgré tout. Et doué, évidemment. La caméra de Bonnelo, habituée aux personnages et aux ambiances à la marge, à la limite du monstrueux, capte merveilleusement les nuances du jeu de Gaspard Ulliel, la manière dont il traduit la dichotomie du personnage, tiraillé entre l’homme et le créateur,la flamboyance et la morbidité. Il met également son amant / mentor, Pierre Bergé, en retrait, que ce soit à l’image ou dans la vie de Saint Laurent. Un pygmalion qui ne peut rien contre la passion qui dévore Saint Laurent lorsqu’il rencontre Jacques de Basher, dandy vampirique qui va profondément modifier le cours de sa vie et le pousser lentement à côtoyer la folie. On ne peut qu’apprécier le fait que Pierre Bergé n’ait pas apporter son soutien à ce projet, laissant au réalisateur une plus grande liberté pour évoquer ce destin hors du commun, avec sans doute autant d’exactitudes que de fantasmes.
Dommage que la dernière partie traîne sérieusement en longueur, Bonello se perdant dans des allers retours dans le temps superflus et confus.
Malgré ce petit écueil très pardonnable, il parvient à transcender l’exercice du biopic et livre un film où l’élégance rivalise avec la cruauté, la grandeur avec la mesquinerie, le génie avec la faiblesse humaine… Le portrait d’un homme que le talent aura isolé, que la passion aura détruit , mais qui aura sans conteste transformé la mode et l’image de la femme.