Dans tout drame se cache un survival.
Scènes de Chasse en Bavière est un film qui me rendait curieux par plusieurs aspect. Dans un premier temps, parce qu'il préfigure le film Le Ruban Blanc de Michael Haneke, et dans un second temps parce qu'il s'inspire (en partie) d'un film de Franju, Le Sang des Bêtes, qui m'attire bien aussi. Si je ne connaissais pas le réalisateur, Fleischman, j'ai cru comprendre qu'il faisait parti de la renaissance du cinéma Allemand des années 70, aux côtés de réalisateurs comme Herzog, Fassbinder et Wenders. Intéressant !
C'est un film qui contient énormément de choses dans son propos : réflexion sur l'enfermement, l'homophobie, le fascisme, la ruralité, la cruauté de l'être humain... Pour avoir une certaine universalité dans son propos, c'est un film qui est hors du temps. Pour une raison qui m'est inconnue, j'étais persuadé, durant les premières minutes du film, que l'action se situait dans les années 30. Car au sein du village, il y a une sorte de halo temporel qui s'est formé, et qui au-delà de conserver l'aspect "traditionnel" d'un petit village de Bavière, le maintien dans un passé presque malsain. Seuls quelques éléments, disséminés ça et là, finissent par donner des éléments sur la temporalité, comme une machine à laver, une affiche Coca-Cola, une petite voiture...
Près de 25 ans après la chute du nazisme en Allemagne, Fleischmann, ainsi que Martin Sperr (l'auteur de la pièce originale, qui incarne également le personnage principal), placent leur action, à savoir les scandales engendrés par la présence d'un homosexuel au sein d'une petite communauté, au beau milieu du berceau du national-socialisme. Car l'idée ici est loin d’idolâtrer la merveilleuse région qu'est la Bavière avec ses maisons de toutes les couleurs. C'est une Bavière rurale, une Bavière de paysans, une Bavière conservatrice basée sur des préjugés.
Mais ce qui est formidable, c'est l'hypocrisie générale sur laquelle est construit le village. Abram, l'homosexuel détesté (on pourra d'ailleurs noter le choix bien particulier du nom, et les connotations qu'il a), demeure quand même l'homme à tout faire sympathique, qu'il est bien pratique de trouver quand une machine à broyer le grain est en panne ou lorsqu'il faut bricoler une vieille mob'. Si l'analogie avec l'Allemagne nazie (qui marchait main dans la main avec ses pires ennemis quand ça l’arrangeait) peut se faire, elle peut s'exporter à encore d'autres systèmes. Après tout, on est en pleine Guerre Froide, le mur de Berlin a été érigé quelques années plus tôt, et sous l'hypocrisie générale mondiale se terre une envie (ou une peur ?) d'un ultime conflit.
Vers le début, Fleischmann filme les porcs du village, avec une insistance certaine. On constatera bien vite la large définition que peut prendre "porc" dans un tel environnement. Il en va de même, un peu plus tard, pour une séquence d'égorgement d'un cochon charmante à souhaits. Comme la messe qui ouvre le film, il s'agit d'ici d'un rite traditionnel qui regroupe le village autour d'un ballet assez macabre de tripes et boyaux en tous genres. Petits et grands conviés, bien entendu !
Tout le monde, sauf... Abram, bien entendu. Ainsi qu'un jeune garçon un peut lent, avec lequel il se lie d'amitié. Discrimination des homos et des dégénérés ? Hum... Mais tout le film est construit sur le rejet de la différence. La "fille facile" du village, tantôt taxée de prostituée, tantôt séduite par les mâles trouve de "l'acceptation" auprès des siens autant que du rejet et de l'humiliation, de par sa nature.
L'ultime partie du film, la traque forestière, extrêmement courte, pourrait tendre à nous rappeler pourquoi le film a dans son intitulé "scènes de chasse". Sauf que non, "scènes" est au pluriel, et ça n'est pas pour rien. Le film est une chasse permanente à la différence, et le village ne se constitue presque que de prédateurs et de proies, et presque chaque séquence du film sert ce propos. Cela dit, à force de servir le propos pour le propos, le film a parfois du mal à étaler ses enjeux scénaristiques, et ce même si l'on peut prendre du plaisir à découvrir ces scènes rurales.
Dans l'esprit de servir son propos, l'idée de Fleischmann n'est pas d'embellir visuellement son film. C'est une réalisation qui reste sèche, tant dans son découpage que dans sa photo. On aura tantôt ces gros plans sur les visages creusés des paysans Bavarois, et tantôt des plans larges sur lesquelles on aimerait voir de la beauté... Mais non, elle n'existe pas. Ou plus, du moins. Dommage que la version dont je disposais, une réédition signée Le Pacte, soit un peu crade (si ce n'est carrément dégueulasse par moments) au niveau de la compression numérique. A l'instar de Bresson, les acteurs de Fleischmann sont les locaux, qui font parfaitement l'affaire. Seul Martin Sperr, l'auteur, se réserve le rôle principale, mais arrive sans mal à se fondre dans la masse de ces comédiens du quotidien.
Dernier petit point étonnant : au sein de cet univers moche, malsain et presque maladif, la bande-son se compose majoritairement de yoddles typiques du coin, à la consonance parfois bien joyeuses. Un contraste qui n'est pas sans me rappeller le légendaire banjo de Délivrance...