Stanley Kubrick est de toute évidence un cinéaste qui n’a plus rien à prouver, sa filmographie en témoigne (Spartacus, 2001 : L’Odyssée de l’Espace, Orange Mécanique, Barry Lyndon, etc.), d’autant plus que les succès critiques. Non seulement, il propose une avancée dans le cinéma, d’un point de vue technologique et de mise en scène, mais il commence dorénavant à appréhender des adaptations sinistres, comme celui-ci, issu d’un Stephen King toujours torturé et au sommet de son art. Malheureusement, ce n’est pas de la cohésion qui en ressort, car le cinéaste a préféré se détacher des écrits pour des intentions différentes certes, mais louables. Le parti du surnaturel n’est qu’à moitié assumé, laissant ainsi le spectateur faire le reste de l’analyse. Audacieux ou fainéant ? Un peu des deux, mais cela fonctionne avec ce qu’il faut de doute pour en apprécier les formes et les saveurs.
La déchirure familiale est un thème récurrent chez King, puisant dans son enfance et dans son imaginaire ténébreux. Et le manoir Overlook correspond tout à fait à son goût, car celui-ci est bien hanté. L’approche se fait donc par des capacités médium, celles de Danny Torrance (Danny Lloyd) notamment, qui découvre bien des surprises sur les générations qui ont précédé sa famille. Le rôle du gardien hivernal cache bien des secrets, qui apporte au garçon, convoité par bien des esprits, un soupçon de terreur. De l’autre côté, sa mère Wendy (Shelley Duvall) est son protecteur, mais qui ne se contente pas de rester spectatrice des apparitions troublantes. Viens alors la clé de voûte du récit, Jack (Jack Niholson) un père écrivain en manque d’inspiration et qui vit mal la difficulté financière pour aider sa famille. Le reflet du capitalisme n’est pas loin, et c’est le manoir qui se charge de la transaction de son âme, qui le change radicalement de bord.
Le postulat ne prend pas soin de bien nuancer sa chute mentale, car Kubrick souhaite éparpiller des éléments qui serviront à son climax à en couper le souffle. C’est malin de sa part, mais cela brise la frontière du doute, sur les événements qui sont soit surnaturels, soit issus de la folie, générée par l’isolement glacial de la saison. Nous le comprenons donc, le manoir est bien l’antagoniste qui perfore et pervertit l’esprit d’un Jack torturé par sa carrière. Le cinéaste nous le montre « vivant », mais des cadrages minutieux et silencieux afin de refléter un malaise qui s’installe peu à peu, poussant les Torrance vers la folie et la sortie. Mais ce lieu, c’est avant tout un labyrinthe, qui reflète bien la position désespérée d’une famille en quête de prospérité. La chambre 237 témoigne également d’un cul-de-sac moral, car elle constitue le vice du désir et des fantasmes, avant d’être une pièce repoussante.
N’en déplaise à King, le divorce entre ce dernier et Kubrick se solde malgré tout par une reconnaissance, car le film noir « Shining » est adoubé de promesses. Les tourments de Jack, les secrets du manoir et tant de mystères sur ce personnage phare proposent différentes grilles de lecture. Les plans proposent des fresques abstraites à en débattre à l’infini, mais ce qui définit finalement Jack, c’est bien un fantôme. C’est un fantôme pour la société, qui l’oblige à le laisser méditer dans un hôtel malveillant et qui ne fait qu’un avec ses pulsions. Ce personnage incarne ainsi la peur et la revanche d’une classe moyenne, dévorant une cellule familiale jusqu’à son dénouement inexplicable, mais jouissif.