Chûsei Sone, avant d’être réalisateur, était scénariste. Ce film, qui raconte justement les mésaventures d’un jeune scénariste sans le sou, s’inspire de ses débuts dans le métier. L’œuvre s’inscrit dans cette série de métrages produits par le studio Nikkatsu et qu’on a traduits en français par “romans porno” mais dont le caractère est en réalité érotique - et qui ne sont d’ailleurs pas à proprement parler des films érotiques mais des films comportant des scènes érotiques, ce qui fait une grande différence car tout le reste (scénario, jeu d’acteurs, dialogues, etc.) occupe dans ce genre la place centrale et ne sert pas uniquement de prétexte à assurer une transition entre des scènes à caractère sexuel. Les titres étaient généralement choisis par le producteur (et non par le réalisateur) et étaient racoleurs au possible, afin d’attirer des spectateurs vers des films dont le propos était souvent tout autre que celui annoncé.

Le catalogue 2012 du NIFFF annonçait que ce film est « un des rares romans porno réflexif ». En effet, "Shinjuku Midaregai" (en français “Shinjuku, ville-désordre”) est avant tout un film descriptif qui, au travers de l’histoire du couple orageux formé par le scénariste Sawai et la serveuse de bar Mimi, nous plonge dans l’univers de la bohème seventies de Shinjuku, arrondissement de Tokyo, en nous la présentant sous l’angle très ethnologique de son mode de vie : sa précarité économique, sa passion pour les arts et le création, ses mœurs très libres, son goût pour la fête et l’alcool, ses ambitions et ses jalousies à l’égard de la réussite.

Sawai est un scénariste ombrageux et passablement paresseux qui écrit avec difficulté et se désole de ne vendre aucun de ses textes. Libertin et porté sur l’alcool, il se laisse entretenir par Mimi, follement éprise de lui, qui travaille dans un bar et suit à côté des cours de théâtre en rêvant de devenir actrice. Autour d’eux gravite toute une galerie de personnages liés à ce milieu artistique et interlope : la patronne du bar qui va tout plaquer pour se marier sur le tard, un réalisateur qui couche avec toutes ses actrices, un écrivain, une suicidaire maladroite, et plusieurs autres. Les personnages sont présentés dans les premières scènes du film par des arrêts sur image et l’apparition de leurs noms en kanji, cette coupure nette apparaissant souvent dans les moments les plus animés.

Un artiste, accoudé au zinc du bar où travaille Mimi : « On pourrait comparer ce quartier à un train de la jeunesse. Ceux qui ont réussi en descendent et les autres restent. »

Un des thèmes principaux est sans doute celui de l’infidélité. Mimi et Sawai se trompent à qui mieux mieux, se déchirent, se réconcilient, se battent même physiquement parfois puis s’oublient dans le whisky ou dans d’autres relations sexuelles qui tiennent tantôt de l’extase sous stupéfiants tantôt du viol à moitié masochiste. Les scènes érotiques sont camouflées au moyen d’un doigt posé opportunément sur l’objectif de la caméra, ou parfois par des éléments mis à dessein dans la scène – une table de salon, un transistor, une chaise longue renversée – pour cacher ce qui doit l’être. On regrettera d’ailleurs certaines longueurs dans ces scènes-là, qui ont tendance à se répéter un peu trop souvent et à durer plus qu’il ne faudrait. Les filles sont jolies et les hommes pleins de désir, mais le sexe est plutôt triste dans ce quartier dont la vie est marquée par les ruptures, les crises et les avortements à répétition.

On appréciera que la réalisation ait opté, malgré quelques exceptions, pour un double huis clos, celui de l’appartement du jeune couple et celui du bar, l’essentiel du récit se jouant dans ces deux lieux et les excursions à l’extérieur étant plutôt rares. La bande-son est aussi très inventive. Certaines transitions entre les scènes sont marquées par des coups de cymbale, les discussions dans l’appartement se mêlent souvent aux bruits de la circulation qui parviennent par la fenêtre ouverte, quelques scènes jouent sur l’augmentation du volume de bruits spécifiques (le tic-tac d’une horloge pendant une orgie, le ronflement de Mimi au petit matin) pour installer une atmosphère. Toutefois, "Shinjuku Midaregai" n’est sans doute pas le meilleur film de Chûsei Sone, il paraît un peu déstructuré, peine à trouver sa ligne directrice et aligne un certain nombre de scènes dispensables qui donnent un certain effet de redondance dans le propos.
David_L_Epée
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le 17 mai 2014

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