Un rat dans une cage s'invite dans une famille française bourgeoise, et toutes les règles de bienséance apprises au théâtre et dans cette vie d'un ennui mortel explosent. Enfermé dans cette maison grillagée, comme ce couple sans noms et leurs deux enfants dans leurs conventions, l'animal va insuffler un vent d'étrangeté et une libération des codes sociaux et des moeurs.
Dans ce théâtre absurde, point de psychologie. Les événements vont être accueillis sans surprise ou crises aiguës, non, les choses sont, cela arrive : la femme de ménage se permettant de répondre en insultant sa patronne, sans conséquences, l'inceste entre une mère et son fils, des amants de ce même fils se promenant en slip dans la maison pour rejoindre un "plan à plusieurs", etc.
Le rat est un révélateur de pulsions, et Ozon un cinéaste qui sait filmer l'attractivité des corps (Swimming Pool, Jeune et jolie). Il montre ici des corps sexués, le désir à travers des embrassades et des langues qui se perdent dans la bouche de l'autre, leurs regards, leurs nudités, leurs caresses, et des délires sadomasochistes. Il excite le spectateur, mais se retient toujours au dernier moment.
Nos attentes sont constamment déjouées. Alors qu'on pensait savoir où le récit menait, nous somme bernés, les partouzes ne font plus bander. Les cadres sont fixes, se posant là et auscultant avec délectation cette famille "normale" où les repas du soir se passent sans rien n'avoir à se dire, et la folie du récit n'emballe jamais autant la caméra que le spectateur.
Le rat, lui, tout comme le beau jeune homme du Théorème de Pasolini, continue à semer le trouble dans les pensées des protagonistes, les poussant à agir, à expérimenter, à aimer, à dire des choses qu'il n'est pas "convenable" de dire. Le détachement créé par le réalisateur nous laisse parfois songeur, cette froideur assumée et clinique détaillant cette perversion et ce jaillissement de vie dans une famille engluée dans un moule mortel paraissant trop provocatrice (ou pas assez, dans sa forme). Il manque peut-être de folie dans la manière de filmer ce monde aux accents bunueliens, nous invitant à mieux regarder ce qu'on pensait connaître.
Le film reste réjouissant par sa volonté de réveiller cette mortelle vie dans laquelle on peut se perdre si on ne fait pas attention. Le rat au regard rouge et perçant analyse ces vides abyssaux que constituent l'existence bourgeoise, et est la représentation animal et blanche de nos besoins d'amour, de nos instincts bestiaux, de la sexualité refoulée et des non-dits qu'on n'osera jamais évoquer. Au fond, ce rat, c'est notre liberté, notre tendresse.