Lorsqu'en 2012, Disney a racheté les droits de LucasFilms et annoncé le lancement d'une nouvelle trilogie qui verrait le retour des interprètes des épisodes IV à VI, les fans de la galaxie lointaine très lointaine étaient partagés entre excitation et méfiance. Pour le résultat que l'on connait : l'épisode VII, sorte de copier/coller d'Un Nouvel Espoir a marché sur le box-office en 2015 (plus de 2 milliards de recettes !) et ses successeurs ont, à un degré moindre, surfé sur sa dynamique. Malgré la déception apparente du public, le succès est au rendez-vous (et les billets verts aussi), et le constat sans appel : le public est nostalgique. Il rêve de revoir les personnages de son enfance et serait prêt à payer pour ça. Qu'à cela ne tienne ! Ce dont rêve le public, la Maison des Idées va le lui vendre. Et qui de mieux que l'araignée du quartier pour réaliser ce fantasme ?
Après d'âpres négociations avec Sony, qui cherche à donner un nouvel élan au Tisseur après l'échec (relatif) de The Amazing Spider-Man 2, Disney va intégrer Spider-Man à son MCU, avec Tom Holland pour remplacer Andrew Garfield. Homecoming, sorti en 2017, était plutôt encourageant, avant un Far From Home aussi insipide que lucratif. C'est là que Sony et Disney décident, pour ce troisième opus intitulé No Way Home, de sortir l'artillerie lourde, en introduisant sur grand écran le "Multiverse", qui avait déjà été teasé dans la série Loki. La porte des facilités scénaristiques est grande ouverte, et Marvel compte bien s'y jeter la tête la première. Avant même le premier trailer, les rumeurs vont bon train. Des personnages des opus de Sam Raimi et de Marc Webb se réuniraient pour chercher des noises à Tom Holland. Plus encore, Tobey Maguire et Andrew Garfield seraient de retour pour ce film, et même le Daredevil de Charlie Cox serait de la partie. Le plan est parfait : la Toile s'affole (quoi de plus naturel pour une araignée), les secrets conservés bien au chaud jusqu'à la sortie de la première bande-annonce. Le ras-de-marée commence. Les retours d'Alfred Molina en Dr Octopus et de Willem Dafoe en Bouffon Vert sont confirmés, ainsi que celui de Jamie Foxx en Electro. Cependant, toujours aucune trace de Tobey et Andrew, qui restent aux abonnés absents. Les fans scrutent le moindre détail de chaque bande-annonce, à la recherche du moindre indice confirmant (ou non) leur présence. L'excitation est à son paroxysme jusqu'à la sortie du film.
Car oui, on a tendance à l'oublier, mais c'est bien d'un film dont il est question.
Resituons le contexte diégétique : A la fin de Far From Home, Spider-Man/Peter Parker est accusé d'avoir tué Mysterio (l'antagoniste de l'opus), et son identité est révélée au monde entier. Devenu paria, il ne peut plus vivre la vie qu'il espérait avec MJ, ni intégrer la grande école dont il rêve, ses proches étant également affectés par les récents événements. Il décide alors de faire appel à Doctor Strange pour régler son problème d'un tour de passe-passe. Le magicien lance un sort afin que toute personne connaissant l'identité de Spider-Man l'oublie. Sauf que Peter, ça l'embête un peu, parce qu'il aimerait que tout le monde oublie, sauf MJ. Et son ami Ned aussi. Oh, et tante May, tant qu'on y est. Et patatras, incapable de fermer son clapet, il perturbe le sort d'un Doctor Strange plus patient que la moyenne, et crée une faille entre les univers, par laquelle des ennemis vont surgir. Le défi est de taille : Octopus, le Bouffon Vert et Sandman de la saga Raimi, Electro et le Lézard de la saga Webb. Avec l'aide de ses amis, Peter doit les arrêter et les ramener dans leur dimension. C'est donc sur cette histoire, qu'on croirait sortie d'un épisode de dessin animé du dimanche matin, que repose le plus grand succès cinématographique depuis le début de la pandémie.
Outre le pitch du film, les événements s'enchainent en dépit de toute logique.
Récapitulatif des (nombreuses) incohérences : [SPOILER ALERT]
- Les ennemis susmentionnés sont donc censés connaitre l'identité de Spider-Man. Problème : Electro ne connait pas son identité dans The Amazing Spider-Man 2.
- Ces mêmes ennemis sont censés avoir changé de dimension juste avant leur mort. Problème : Electro, Sandman ne meurent pas à la fin de leurs films respectifs.
- Electro, qui décidément les accumule, change de look ET de personnalité sans la moindre explication.
- Après que Peter ait dérobé les doubles anneaux de Doctor Strange, Ned est capable en l'espace de quelques secondes, de créer un portail pour faire venir les Spider-Man de Maguire et Garfield, quand il a fallu des mois au plus grand magicien du MCU de maitriser ses pouvoirs. Non, la rumeur sur sa grand-mère qui prétendait être une sorcière n'est pas une excuse suffisante.
Mais aussi, ils sabordent des sagas que l'on aurait préféré rester intactes.
(Faire revenir les vilains des précédents films revient à altérer leur réalité, ce qui n'a rien de réjouissant)
Ils tournent au ridicule des personnages cultes
(Andrew Garfield qui doit grimper au plafond pour prouver qu'il est bien Spider-Man... Mais POURQUOI ?)
La scène que le public attendait est ratée.
(Faire apparaitre Tobey et Andrew dans une cuisine ? Vraiment ?)
Alors oui, tout n'est pas à jeter. Un plan-séquence réussi au début du film, quelques moments de bravoure
(Andrew Garfield qui sauve MJ afin de faire son deuil de Gwen Stacy)
, quelques références amusantes
(le clin d'oeil au célébrissime meme des deux-trois Spider-Man)
et on aurait du mal à cacher notre plaisir
de voir les trois Spidey en action
lors du climax. Enfin, il apporte enfin une évolution au Peter Parker de Tom Holland (au bout de trois films, il était temps).
Mais ces points positifs, comme l'ajout de dramaturgie
(la mort de tante May)
au milieu de cette orgie de blagues tirées par les cheveux, ne suffit pas à en faire un bon film. Et il est triste (voire inquiétant) de constater que ce qui est le plus réussi dans ce film qui a déjà récolté près de 2 milliards de dollars, c'est sa campagne marketing. Le cinéma, quel qu'il soit, ne devrait pas reposer sur le fan service. Revoir nos héros préférés suffit amplement. Les Spider-Man d'Andrew Garfield avaient déçu le public mais avaient au moins le mérite d'essayer de proposer une vision du personnage. La trilogie du tandem Jon Watts/Tom Holland donne l'impression que le spectateur est un petit prince pourri gâté qui veut avoir tous les jouets qu'il souhaite. Et c'est insultant quand on aime le cinéma.