Le diable est dans les détails.
Ces détails que les journalistes vont éplucher pour débusquer l’infamie camouflée sous le voile pudique et publique de la soutane.
Ces détails du film qui arrivent à conférer une atmosphère religieuse à la ville de Boston. Ce « holy shit » proféré à plusieurs reprises et dont la traduction française ne rend pas grâce. Ce cours de catéchisme en guise de guide de Boston. Ces églises dont les silhouettes surplombent et écrasent les quartiers populaires dans toutes les images. Avec ce moment si révélateur où, dans un parc public, une victime raconte ses sévices par le détail, s’arrête et pleure. Il s’était promis de ne pas pleurer, mais une présence l’a fait craquer.
« Bien sûr, il y a une église juste là. Et un terrain de jeux. » (Joe)
Pas besoin d’en dire plus.
Je suis ressorti du film le souffle légèrement coupé, car deux choses m’ont particulièrement marqué dans Spotlight.
Tout d’abord, il y a cette histoire incroyable, dégueulasse et surtout véridique. Elle est d’autant plus marquante qu’elle a des échos dans notre mémoire collective. L’affaire Barbarin en est la plus récente preuve, même s’il faut éviter de faire un raccourci avec ce dernier scandale français.
D’ailleurs, avant que le film ne commence, nous savons déjà de quoi il sera question. Mais l’utilisation de l’enquête pour raconter ce scandale gradue la découverte hallucinante de l’ampleur de l’affaire. La narration agit comme des matriochkas de l’inadmissible. Je regrette au passage que l’introduction dénote avec le reste du film. Même si la scène est terrifiante, tout le reste du film est ancré autour de l’équipe de Spotlight, sauf cette scène-là.
« À mesure que je progressais dans mes recherches, j'ai pris conscience de l'ampleur du dossier, de l'acharnement de Spotlight pour dévoiler ces actes odieux que le clergé, complice, s'efforçait de cacher. Ce n'est pas le nombre de prêtres pédophiles qui me choquait le plus, mais cette absence de moralité, le fait qu'ils soient ainsi couverts et qu'ils coulent une retraite dorée en toute impunité. » (Tom McCarthy, réalisateur)
Je ne m’étends pas là sur l’affaire, car le film le fait très bien. Je vous conseille vivement la lecture du premier article de l’équipe de Spotlight, dont il est question dans le long-métrage et qui est lisible sur le site du Boston Globe. Il est saisissant de lire le texte et d’y retrouver si fidèlement toutes les étapes du film. Vous trouverez aussi sur le site un dossier consacré au film et à l’affaire.
J’attire aussi l’attention sur le fait qu’à la fin du film, plusieurs affaires sont listées. Deux d’entre elles sont françaises. La première est Saint-Jean-de-Maurienne, où le vicaire Pierre Dufour a confessé quarante ans de viols . L’autre est celle du procès de Monseigneur Pican, devant le tribunal correctionnel de Caen. En 2001, l’évêque du diocèse de Bayeux et Lisieux était condamné à trois mois de prison avec sursis, pour « non-dénonciation de mauvais traitements ou privations infligés à un mineur de 15 ans ». Une première.
Le deuxième point qui m’a marqué est le réalisme du film sur le milieu du journalisme. Quand j’ai vu les bureaux du Boston Globe, je me suis tout de suite dit qu’il s’agissait d’une vraie rédaction: immeuble vieillot, bureaux en bordel, téléphones en train de sonner, toujours du mouvement…
De même, les acteurs sont criants de vérité en tant que journalistes : leur manière de parler et de discuter des sujets, de ne pas rester le cul sur la chaise, de manger n’importe quoi n’importe où, de continuer le travail à la maison, de s’engueuler, la concurrence entre services et entre journaux …
Le film n’hésite pas non plus à montrer les failles du métier : quand le journal n’a pas senti l’affaire derrière les premières révélations, ce rejet des sources casse-couilles, quand une info pousse l’autre (le 11/09), quand on a une info chaude et qu’on ne peut pas la divulguer, même à ses voisins…
Il faut dire aussi que Tom McCarthy et son équipe ont filmé dans les bureaux du Boston Globe à Dorchester. De son côté, l'équipe du Boston Globe a prêté main forte en donnant son accord sur les costumes, le scénario, les acteurs et les décors.
Les acteurs ont fait d’ailleurs un gros travail de préparation. Lors de leur première rencontre, Mark Ruffalo a enregistré la voix de Michael Rezendes, qu’il incarne, pour ensuite travailler sa manière de parler et ses expressions. Sur le tournage, à chaque pause, Ruffalo demandait au reporter de lire lui-même le texte pour s'imprégner de son attitude. Par contre, quand Ruffalo/Rezendes est dans l’église à regarder un chœur d’enfants chanter, j’ai eu l’impression qu’il allait se transformer en Hulk.
La palme de l’abnégation et de la bizarrerie revient à Michael Keaton qui incarne Walter V. Robinson. Quand l’acteur a accepté le rôle, il a décidé de suivre à la trace le journaliste et a même déménagé près de chez lui sans le connaître. Quand ils se sont rencontrés pour la première fois, le reporter a demandé à l'acteur comment il savait autant de choses sur lui et semblait être légèrement effrayé. (Anecdotes Allociné)
Il est marrant d’ailleurs de voir l’équipe d’origine avec le casting.
Si je ne suis pas certain que Spotlight mérite véritablement l’Oscar du meilleur film, je reconnais qu’il fait preuve de subtilité, à défaut d’être original. Ainsi, je ne considère pas que le film ait un Happy end.
Certes, l’équipe a réussi son enquête et cela aura des répercussions. Mais quand Rezendes vient amener l’article à l’avocat Mitchell Garabedian, la présence d’autres victimes à défendre illustre que cette affaire n’est que la partie immergée de l’iceberg. Une impression accentuée par les nombreux scandales listés avant le générique de fin.
De même, le film pointe aussi le fait que Spotlight est un cas exceptionnel. Quand j’ai vu qu’il existait une équipe de quatre journalistes d’investigation ne travaillant que sur un seul sujet pendant des mois, j’ai cru à de la science-fiction. Les médias à investir dans l’investigation sont aujourd’hui très rare, d’autant plus dans un secteur en crise. C’est un des messages du réalisateur.
« Il est urgent de dire à la nouvelle génération de se réveiller. Le grand reportage demande du temps, de la patience, de la précision, de la persévérance, du courage et de la ruse. Je suis convaincu qu'on peut encore inverser la tendance. » (Tom McCarthy)
Le vrai Mike Rezendes, qui a beaucoup aidé à la réalisation du film, rappelle cette urgence.
« Je suis troublé par la manière dont les financiers ont pris le pouvoir sur notre secteur, virent les gens et ferment les bureaux régionaux à tour de bras pour faire des économies. Alléger le contenu, c'est prendre le risque de perdre des lecteurs, qui réclament ce type d'enquêtes de longue haleine que nous continuons de mener à Spotlight. Il faut des reporters sur le terrain qui obligent les institutions à assumer leurs responsabilités. Ça vaut le coup d'attendre quand on tient un scoop, de résister aux intimidations, aux pressions et aux menaces. Je porte des lentilles de contact. En 2001, quand j'ai dû éplucher durant trois semaines et demie les annuaires des prêtres de la ville de Boston, j'ai perdu 10 % de ma vue! » (Mike Rezendes)
Toutefois, je dois reconnaître un « Happy end » : les nombreux coups de films de victimes suite à l’article. Ces enquêtes, mais aussi ce film, ont un réel impact. Je vous renvoie sur cet article du Huffington Post sur comment la médiatisation permet la libération de la parole des victimes.