Une saison en enfer
Est-ce par goût de la contradiction, Harmony, que tes films sont si discordants ? Ton dernier opus, comme d'habitude, grince de toute part. L'accord parfait ne t'intéresse pas, on dirait que tu...
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le 9 mars 2013
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74
Ce film est à classer parmi ceux qui ont les défauts de leurs qualités, à l'instar de Only God Forgives ou plus récemment (j'écris cette critique le 6/9/15) Love de Gaspar Noé. Je ne viendrai pas défendre bec et ongles une éventuelle diatribe du "Spring Break" ou bien du trafic de drogue. En effet, il ne s'agit pas, selon moi, de la dimension qu'il faut retenir du film ; tels les œuvres que j'ai citées plus haut, Spring Breakers repose bien plus sur une expérience esthétique et émotionnelle ; il n'y a pas à y chercher d'ambition réaliste.
Ce qui frappe dès le début du film, c'est cette abondance hypnotique - écœurante pour certains - de couleurs, qui domine principalement dans les tons fluo. En plus de capter l’œil de façon acerbe, la caméra, par ces mouvements très souples, guide notre regard vers les formes généreuses et sculpturales de la faune estudiantine américaine (principalement les femmes, j'entends bien...). Cette manière extrêmement racoleuse de conduire nos yeux là où ils seraient tentés de s'y rendre tout seul rappelle sans nul doute la manière dont les clips des pop-stars féminines sont subtilement réalisés. Du clip, le film conserve également ce montage si caractéristique : ralentis à outrance, toujours bien placés, et non dénoués d'esthétisme lorsque l'on est d'humeur à y croire, plans extrêmement courts, à la limite du subliminal dans certaines séquences ; mais ils constituent pour moi des éléments positifs car de l'ordre du pastiche ou de la parodie (on y voit également l'alcool et les armes en abondance).
J'en viens maintenant au scénario. Sans être renversant, il est facile à suivre et conserve tout au long des 90 minutes le rythme qui sied à ce genre de film, alternant séquences dialoguées et d'autres plus clipesques. Nous suivons ainsi le parcours de quatre étudiantes américaines lambda, et ce afin de faciliter l'identification du spectateur. Mis à part les images, ce qui nous transporte dans le film c'est bien l'empathie que l'on "souhaite" ressentir pour ces jeunes femmes, certes superficielles, mais plongées dans un monde lui-même rempli de superficialité. Et le constat qu'elles en font est assez affligeant puisque pour accomplir leur désir de "spring break", elles ne rechignent devant rien et surtout pas devant un braquage à main armée. A la suite de leurs excès, orgies et abus de drogues, elles sont arrêtées, conduites en prison et ne sont libérées que grâce à un dealer local - impeccablement interprété par l'étonnant James Franco qui compose là un personnage tout à fait ambigu - ayant payé leur caution. En acceptant le deal que celui-ci leur propose, elles s'embarquent irrémédiablement dans une escalade de violence. Et le spectateur se rend alors compte qu'elles ne sont motivées que par le désir de jouir de cette vie facile : la violence n'est plus une exception, c'est devenue pour elle une banalité. Et lorsque le dealer entreprendra son ultime dessein, elles l'accompagneront sans remord ni crainte.
Le film souligne également, et c'est peut-être l'un des seuls messages que j'ai pu comprendre (et je me trompe sans doute), il souligne qu'au pays de l'oncle Sam l'idolâtrie des armes et la fascination qu'exerce encore Tony Montana peuvent facilement conduire un individu quelconque à s'en remettre à la violence pour obtenir ce qui lui semble dû : en l'occurrence le "spring break". Et c'est l'abondance des armes dans de nombreuses scènes qui nous le fait comprendre
Je n'apprécie pas particulièrement la musique électropop du XXIe siècle (je vais passer pour un vieux con de 20 ans mais j'assume) mais le film propose une bande originale qui a contribué à mon immersion dans le film, et je dois dire que j'ai trouvé l'ensemble des musiques, aussi pauvres puissent-elles être musicalement, parfaitement adaptées à la situation.
Les dialogues sont habilement composés et font presque partie de la bande originale, tant les jeux qu'ils opèrent sont riches par leur multiplicité : c'est ainsi que la voix-off du début du film prend un nouveau sens, en particulier ironique, lorsqu'elle est repris en fin de film, ou bien le fait de répéter de manière quasi envoûtante les mêmes phrases, seules émanations de leurs esprits devenus paralysés.
Ce film continuera à diviser, c'est une certitude : car c'est l'intention du réalisateur que l'on juge derrière. A-t-il voulu glorifier l'exutoire que constitue le spring break ? ou au contraire en dénoncer ses excès, ses perversions et sa vacuité ? Ce film est-il prétentieux ? Malickien ? ou juste un film esthétique caché derrière le "teenage movie" racoleur ?
Puisque personne ne semble en avoir une idée, je décide de m'en remettre au ressenti que le film à eu sur moi. J'oserai dire que c'est mon Miami Vice, même si Michael Mann, dont je n'aime pas tellement le style, est bien mieux coté qu'Harmony Korine auprès des "cinéphiles".
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Créée
le 6 sept. 2015
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