Jamais un Star Wars ne m’aura fait ressentir un tel sentiment d’ambivalence à la sortie du cinoche ; un peu à l’image du film qui brouille les schémas classiques du Bien et du Mal, je ressors de cette projection avec beaucoup de joie et de bonheur devant la réalisation de Rian Johnson (en qui j’avais toute confiance) mais aussi avec une pointe d’amertume, un soupçon de déception, voire de frustration sur le coup. C’est comme si je venais d’avaler un café irlandais en somme… mais j’avais oublié que la crème masquait bien le whiskey !
Ce qui fait la force d’un bon Star Wars, entre autre, c’est sa reprise des grands mythes de l’humanité. Celui qui m’a sauté aux yeux ici est celui du Roi Pêcheur. Le précédent de J.J. Abrams avait bien sûr déjà esquissé le trait avec le cycle Arthurien et l’ile d’Avalon (comme la trilogie originale avec le parcours de Luke, tel Perceval). Luke est comme dans ce mythe un personnage isolé, blessé, qui passe son temps à la pêche au gros alors que la galaxie (le royaume) est dévastée jusqu’à ce que Rey (le bon chevalier) vienne le trouver car Luke est le dernier gardien d’un grand trésor spirituel qui peut redonner l’espoir, la vie, la paix.
Une autre référence m’a aussi sauté à la gueule, cinématographie celle-ci : Impitoyable de Clint Eastwood. Comme l’a fait ce bon vieux Clint avec sa légende du Western, le parcours de Luke ici est très semblable et en poussant l’analogie plus loin on peut même dire que là où Clint démystifiait ou remettait en cause tout un héritage, le film de Rian Johnson fait exactement la même chose (le point de vue de Luke sur les Jedi, entre autre)
avant un retour héroïque.
Car c’est bien ce qui est le plus surprenant, voir déstabilisant dans ce film, la remise en cause, voir la destruction de l’héritage (tant pour les spectateurs que pour les protagonistes) et tout le monde ou presque s’y met alors que le précédent était à l’exact opposé !
Et dans cette destruction de l’héritage, c’est là qu’entre en scène le personnage de Kylo Ren, juste incroyable. C’est comme si Adam Driver s’était nourrit de toute la frustration du précédent volet sur son personnage pour nous livrer une interprétation remarquable où il passe par toute une palette d’émotions et en fait un méchant imprévisible, tellement plus menaçant que n’importe quel autre vilain de la saga ! Oui, paradoxe du procédé, Vador a trouvé un héritier largement à sa mesure.
Alors que dans le premier opus, Rey refusait dans un premier temps l’héritage, ici elle reste le seul personnage à vraiment le suivre et à hériter de quelque chose du passé (le savoir et l’épée de lumière). Son personnage est très semblable au Luke du Retour du Jedi, voir du Bruce Wayne dans le deuxième volet de Nolan (avec l’archétype du Sauveur), écrasé par un méchant qui prend pour le coup toute la place, elle reste plus en retrait dans cette histoire, disons « au service » de l’histoire des autres.
Et voilà d’où vient une pointe de déception. Daisy Ridley interprète magnifiquement son personnage mais le traitement de celui-ci aurait mérité d’être un poil moins linéaire. J’espère vraiment que l’opus suivant viendra remettre un peu de conflit chez Rey car même la « révélation » sur ses origines sur lequel se branle les cerveaux des fans depuis deux ans tombe à l’eau. Tout cela n’est peut-être que mensonge sinon la suite paraîtrait bien fade. Le spectateur était en droit d’en attendre plus car en l’état le film fait encore passé Abrams pour un faiseur de mystères qui font flop (souvent justifié mais qui pour le coup n’y est pour rien, enfin j’espère pour lui et c’est peut être une ruse de Rian, lire plus loin). Ça va quand même sortir les quéquettes sur la scène de la glace, moi j’vous l’dit mon bon m’sieur !
L’autre grosse déception c’est le personnage de Snoke. Là encore le spectateur et le fan qui se branle aurait été en droit d’en apprendre plus ou d’en mériter plus ! C’est du travail de fainéant ! (ou pas, lire la suite)
Mais pourquoi les grands méchants dans cette saga finissent toujours par mourir comme des cons ? Le sac poubelle balancé par Vador, souvenez-vous.
Allez, je vais finir de pinailler sur un détail,
celle d’une petite créature bien connue dont l’apparition est bienvenue mais semble un peu forcé en l’état, en plus d’être moyennement réussit visuellement (mais c’est peut-être volontaire là encore).
Parlons du reste, mes meilleurs moments visuels : la scène d’ouverture est sublime, les passages sur « l’ile de Skywalker » (tant sur le fond que sur la forme d’ailleurs), le combat dans la salle du trône contre les gardes, j’en redemande !
Le film développe beaucoup les personnages secondaires (Finn, Poe, la petite nouvelle) sous la coupe d’une Leia en forme dans un remake à la sauce Star Wars des premières saisons de Battlestar Galactica.
D’ailleurs au vue des circonstances tragiques, le destin de Leia ne sera jamais celui auquel on pourrait s’attendre, une bonne surprise.
Rian Johnson est un réalisateur de talent dans sa mise en scène, en plus d’être capable de faire des grands écarts facials au cours d’une même scène qui pourraient paraître casse gueule, entre humour et noirceur.
L’humour narquois de Rian, parlons-en ! Il se ressent dans son approche même de l’histoire où il balaye des moments que l’on attendait mythiques et épiques en gag totalement désinvoltes.
Luke et le sabre balancé (des fans sous le choc dans la salle où j'étais), la mort de Snoke
et d’autres moments d'héroisme qui frôlent le kitch
Leia dans l'espace, le retour de Luke
De là à dire que Rian se paye la tête du fan boy et de son prédécesseur J.J. avec un malin plaisir il n’y a qu’un pas.
la première scène entre Snoke et Kylo, la révélation banale des origines de Rey
Tout le monde ne va pas aimer surtout quand ils vont réaliser qu’ils ont été pris pour des cons. Moi j’adore mais c’est risqué.
Remise en cause de l’héritage, humour narquois et irrévérencieux envers les fans… On vient de confier toute une trilogie à ce gars ?! Je ne suis pas sûr que Kathleen Kennedy sache vraiment ce qu’elle fait.
Ce Star Wars c’est du très bon cru mais Rian y’a mis volontairement un peu trop d’bouchon quand même, et ça doit le faire marrer le fourbe !