Si Le réveil de la Force a relancé la franchise Star Wars en brisant presque tous les records au Box Office, les regards se sont pourtant rapidement tournés vers sa suite. Pas uniquement pour passer à la vitesse supérieure, mais également parce que pour certains l'épisode VII se contentait d'être un tour de chauffe sur un circuit déjà parcouru. L'épisode VIII avait donc la lourde tâche de (re)lancer définitivement la "postlogie" sur sa propre voie. Il y a deux ans, J.J Abrams abordait Star Wars avec déférence; Rian Johnson s'y attaque aujourd'hui avec malice.
Les Derniers Jedi s'envisage plutôt comme le négatif du Réveil de la Force et entend bien déstabiliser un peu l'univers créé il y a 40 ans. Et le notre avec. Toute la partie concernant Luke Skywalker va être l'occasion de livrer une étonnante méditation sur les mythes et légendes. Leur place parmi nous, leur force en tant que source inspiratrice et leur limite face à une réalité qui ne peut pas s'en affranchir. Les Derniers Jedi regarde droit dans les yeux ces légendes qui vacillent sous le poids de leur propre héritage, mais il le fait non pas avec cynisme mais avec affection, humour et poésie. Très clairement, la meilleure section de ce volet, servie par un Mark Hamill d'un magnétisme prodigieux. Son visage trahit le poids des années, mais cette expérience lui permet d'explorer de nouveaux territoires avec Luke. Et c'est un vrai bonheur, d'autant plus que l'écriture de Rian Johnson est inspirée. C'était à prévoir : Luke est la star du film.
Cela dit, il n'est pas le seul à bénéficier des idées issues de R. Johnson. Inscrivant son propos sur une logique à plusieurs niveaux, Les Derniers Jedi se connecte littéralement aux fans en remettant en question les théories/pistes échafaudées depuis son prédécesseur. À ce petit jeu, Rey et Kylo deviennent un miroir des spectateurs, écartelés par l'envie de retrouver la magie de la trilogie inaugurale et celle de voir enfin Star Wars s'émanciper du culte autour des Skywalker. On peut légitimement se demander si la narration ne fait pas du sur-place. Selon moi, non.
Bien que le contexte général ne semble pas avancer des masses, la plupart des personnages ont eux saisi l'occasion de cette introspection pour évoluer. Je conçois tout à fait qu'on ait l'impression de se servir d'eux pour faire passer un message au détriment d'une intrigue au cordeau, mais j'estime que le "détour" en valait la peine.
Au rayon des évolutions agréables, Rey, Kylo et Poe Dameron sont les premiers bénéficiaires. Les deux premiers gagnent en nuance, quand le troisième contient l'un des arcs les plus intéressants du film, en déroulant une évolution qui se démarque de celle d'un Han Solo. Oscar Isaac a bien plus à jouer cette fois, et il se montre à la hauteur des attentes.
L'intensité a grimpé de quelques crans, chose qui se ressent tout au long du film. Le segment opposant la Résistance au Premier Ordre se fait plus complexe et spectaculaire. Les diverses batailles ont plus d'allure et c'est un vrai plaisir. Ajoutons que l'aspect visuel s'intègre bien dans l'intrigue (à 2-3 incrustations près). On avait reproché au Réveil de la Force son manque d'audace, Les Derniers Jedi lui n'hésite pas à proposer...Quitte à se court-circuiter
Le film s'étend sur deux heures trente, et sur l'ensemble, une bonne demi-heure semble complètement hors-sujet. Il s'agit de la sous-intrigue concernant Finn et Rose. Alors que volet n° 7 avait su gérer avec soin la trajectoire du soldat déserteur, celui-ci trébuche lourdement sur son rôle pour la suite. John Boyega n'est pas en cause, il est excellent, mais rien à faire, cette partie n'a strictement aucun intérêt et inflige à ce huitième opus un ventre mou déplorable. Qui n'est pas arrangé par l'apparition d'un Benicio Del Toro en roue libre. Pire, la section offre même à Star Wars l'une de ses pires scènes dans son final.
On peut également se désoler de voir un personnage tel Snoke ne présenter aucune piste quant à ses origines. C'est une erreur imputable dès l'épisode VII d'accord. Mais rend l'absence de proposition concernant le grand méchant (?) de cette saga ici encore plus aberrante. Je comprends ce qu'a voulu en faire Rian Johnson d'un point de vue dramaturgique, mais rien n'empêchait d'ajouter un peu plus d'informations sur lui.
Quelques incohérences dans les comportements de ses personnages, le film en contient. Certains sont gênants, d'autres moins, car ils sont raccords avec l'un des fils conducteurs déployés. Mais il est permis de s'en émouvoir quand ils conduisent la narration à piétiner laborieusement pour un résultat pourtant évident.
Au final, le film se révèle plus réussi que l'épisode VII selon moi. Probablement l'un des volets les plus matures et espiègles. Mais un épisode qui a tout de la transition alors qu'il devait faire éclore tous les enjeux en vue de son final en apothéose.