Cela faisait un certain temps, trop long, que le cinéma n'avait pas livré un film de gangster solide et classique.
Ces derniers temps le sujet "mafia" avait été trop souvent l'objet de réflexions inutilement plus profondes et d'expérimentations esthétiques plus proches d'un réalisme documentaire. Je pense notamment à l'image et à la violence crue d'un Gomorra qui, il y a quelques années, avait glacé les spectateurs en offrant un visage horrible à la mafia.
On était loin de la jubilation d'un Scorsese face au sujet.
Il faut remonter selon moi à 2009 pour retrouver un immense film de gangster, classe, épique et violent. C'était Public Enemies, le flop injuste de Michael Mann.
Et c'était déjà Johnny Depp.
Strictly Criminal, s'il n'atteint ni la qualité des films de Scorsese ni celle de ceux de Mann, redonne tout de même enfin une image digne de ce nom au genre "gangster". Et fait l'admirable concession entre le style froid et quasi documentaire qui prime de nos jours et le genre classe et virevolté d'un Scorsese.
La mise en scène de Scott Cooper est classe, sombre, et sobre. Sans user des classiques artifices qu'utilisent certains réalisateurs pour rendre explicite le fait que le film se déroule dans les années 70, on retrouve pourtant la patte des grands polars sombres de ces années là, avec son rythme lent, ses longues scènes de dialogue d'où surgit une tension insoutenable (une scène est mémorable, celle de la recette de famille), le tout bercé par une bande son joviale et électrique.
Ce film, de facture classique mais solide, vaut surtout pour ses comédiens. Malgré deux jolis rôles féminins (les femmes des deux héros), c'est évidemment un casting très masculin qui nous est offert.
Depp le premier qui retrouve ici une virilité, une puissance qu'il semblait avoir perdu.
Métamorphosé, méconnaissable derrière sa calvitie, son bide et ses lentilles bleues, il est glaçant.
Pour lui la reconversion est nette.
Après avoir été le joujou de Burton, puis le pirate d'Hollywood, il est à présent le gangster.
Il est officiellement brillant, et personne ne le niera. Il fait bel et bien ici son come-back. En espérant qu'il dure un peu.
S'il monopolise toute l'attention, Johnny Depp reste épaulé par des seconds rôles importants.
Joel Edgerton semble jubiler à interpréter son rôle de flic pourri, boudiné dans des costumes trois pièces kitsch, assénant à tout va des clins d’œils racoleurs et des gestes clinquants et grossiers, à l'image de sa montre en or, massive et ridicule. Il est le comme un vers dans la pomme.
Benedict Cumberbacht est quant à lui plus en retrait qu'auparavant, classe et sobre, mais au final, tout aussi pourri.
Mais ce qui marque dans ce film, outre son casting, c'est le traitement qui y est fait de la violence.
Loin d'être amusante, elle est ici si froide qu'elle met véritablement mal à l'aise.
Scott Cooper ne cherche pas à dresser un portrait plaisant de ses malfrats mais invite à l'inverse le spectateur à les fuir et à se rendre compte de leur violence primale et répétitive, comme un moyen quasi automatique de résoudre les problèmes. Si le film livre en cela quelques scènes de trop, en tant qu'elles sont répétitives et déjà vue, c'est pour souligner cet aspect de la violence, de l'ordre du réflexe.
Enfin Strictly Criminal livre de plus le trajet de vie de cet homme, qui fut longtemps le plus dangereux criminel des Etats-Unis, le portrait d'un psychopathe au cœur tendre avec ses proches mais à la froideur repoussante avec ses ennemis.
On craint cet homme, on craint ses amis. On a peur d'eux.
C'est là le parti pris du film, parti pris réussi et assumé, qui fait de lui un film de gangster efficace comme on en avait pas vu depuis longtemps.