Si l’on devait nommer une figure de proue de l’animation japonaise au cinéma, le nom de Makoto Shinkai serait sur toutes les lèvres. Depuis le succès monumental de Your Name, chacun de ses films fait l’objet d’une attention toute particulière du public international, mais il est triste de constater qu’aucun d’eux ne réussisse la tâche de ne serait-ce qu’égaler ce dernier. Pourquoi donc ? Makoto Shinkai a su conquérir le public avec Your Name, pourquoi n’arrive-t-il pas à réitérer cela avec Suzume et Les Enfants du temps ?
La patte graphique de Shinkai est reconnaissable entre mille. Si je devais la décrire en un mot, je la qualifierais de « cosmique » ou « céleste ». Toutefois, cette dernière paraît moins présente dans ce film-ci ; peut-être ne l’ai-je simplement pas remarqué autant que dans ses autres œuvres. La qualité de l’animation et des dessins reste superbe, malgré quelques modèles 3D laissant à désirer, et, comme dans chacun de ses films, les paysages somptueux sont un régal pour les yeux. Quant au character design, Shinkai a toujours su créer des personnages simples mais distincts, uniques, qui se reconnaissent au premier coup d’œil. Heureusement, c’est toujours le cas ici. Suzume suit donc les pas de ses prédécesseurs, nous offrant ainsi un spectacle visuel impressionnant tout au long des deux heures du film.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je me rendis compte que le film n’allait pas nous bombarder de J-Rock pendant toute la séance ! Je n’ai rien contre ce genre musical, mais il faut avouer que son utilisation à foison dans Les Enfants du temps était redondante. Par conséquent, nous avons à faire ici à une bande-son plus classique, bénéfique pour le film. Même si beaucoup de ses morceaux ne sont pas mémorables, ils accompagnent néanmoins parfaitement les séquences du film et les performances des comédiens de doublage. Je précise que je parle de la version japonaise sous-titrée du film.
Malheureusement, tout comme son prédécesseur Les Enfants du temps, c’est à cause de son scénario que Suzume ne me convainc pas. Les visuels et l’ambiance sonore ne peuvent suffire à porter toute l’œuvre, surtout pour ce genre de film.
Pour commencer : une partie sans spoilers. Nous suivons la jeune Suzume qui, souffrant d’un trauma datant de son enfance, va, en compagnie d’un jeune homme nommé Sōta, traverser le Japon pour fermer des portes d’où s’échappe un ver qu’eux seuls ne voient, et qui a la fâcheuse tendance de provoquer des séismes lorsqu’on le laisse faire. Le film prend la forme d’un road movie qui, écrit par des gens compétents, aurait vraiment pu être quelque chose de spécial. Et pourtant, tout semble bien commencer. L’atmosphère presque ghibli-esque de la première partie laissait présager de bonnes choses. Néanmoins, là où Suzume trébuche, c’est dans l’exécution de son histoire, notamment dans la construction et le développement de ses personnages. Ces derniers ne donnent aucunement l’impression d’être des êtres humains, mais juste des marionnettes que Shinkai manipule afin de faire avancer l’histoire. La relation entre Suzume et Sōta ne peut être qualifiée que d’artificielle et forcée ; l’entichement a ses limites, et ne constitue pas un bon argument pour défendre leur relation dans un film du genre, où les personnages et leurs relations sont le cœur du film. Mais le plus gros problème du scénario réside dans son traitement du trauma de Suzume. Encore une fois, tout est trop superficiel, sans aucune profondeur… La prochaine partie détaille tout cela plus amplement, mais contient des spoilers.
Il m’a été impossible de m’investir lors du climax du film. Comment suis-je censé être touché par Suzume souhaitant à tout prix sauver Sōta parce qu’elle l’aime, alors que cette dernière ne le connaît que depuis trois jours ? Sommes-nous réellement censés croire qu’en trois jours, Suzume tombe follement amoureuse d’un homme qu’elle vient de rencontrer, dont elle ne connaît quasiment rien, et surtout qui passe les trois quarts de son temps avec elle transformé en chaise ? Leur romance n’ajoute absolument rien au film, qui aurait profité d’en faire de simples partenaires ou amis. C’est à se demander pourquoi Makoto Shinkai s’est forcé à mettre, dans ses deux derniers films, des romances bâclées sans aucun intérêt… La réponse est simple : depuis Your Name, il ne cherche qu’à reproduire son succès. Voilà pourquoi l’histoire de Suzume et de Les Enfants du temps est si similaire à celle de Your Name. À force de vouloir reproduire le passé, ses productions actuelles en pâtissent. Enfin bon, cette relation amoureuse n’est qu’une partie du problème. Ma plus grande surprise lors du visionnage du film fut la dispute entre Suzume et sa tante, Tamaki. Toute la scène est étrange. J’ai bien évidemment compris que le manque de tact de Tamaki était causé par l’autre dieu, dont j’ai oublié le nom. Mais c’est à ce moment-là que je me suis rappelé qu’effectivement, Suzume est traumatisée par la perte de sa mère lors du tsunami de mars 2011. La perte d’un être cher lors d’un événement catastrophique, le deuil qui vient avec… Tout cela est un très bon sujet pour le film, qui le démarque de ses prédécesseurs… s’il était développé et non balancé par-ci par-là, pour qu’au final Suzume soit miraculeusement guérie de son trauma en cinq minutes. Le pire dans tout ça, c’est que la structure de l’histoire est parfaite pour ce sujet : un road-movie où elle rencontre différentes personnes qui, chacune à leur manière, l’aide à guérir, pour finalement confronter l’origine de son trauma. Mais non, à la place nous avons une romance stupide, sans alchimie, entre deux personnages sous-développés.
Ce film, encore plus que Les Enfants du temps, m’énerve par son potentiel gâché. Pourchassant vainement le succès de Your Name dans chacun de ses nouveaux projets, Makoto Shinkai est incapable de faire autre chose que le même film, encore et encore, chaque itération apportant son nouveau lot de problèmes. Peut-être Your Name n’était-il qu’un coup de chance, car loin de nous révéler ses talents de scénariste, tout ce que Shinkai nous montre avec Suzume est son incapacité à créer de nouvelles histoires intéressantes.