Unplugged
J'aime ce cinéma unplugged, fiction quasi documentaire. The Florida Project colle à la vie quotidienne d'une maman et sa fille. La caméra est à la hauteur des 1m20 de la gamine et la suit dans les...
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le 1 févr. 2019
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Le film démarre sur des chapeaux de roues : une bande de gamins s'amuse à cracher, d'un balcon, sur le pare-brise d'une voiture garée en-dessous. Sa propriétaire, qui les engueule, se fait insulter. La meneuse de la bande, c'est Moonee, dont la mère Halley est en train de fumer des joints dans sa chambre. Lorsque celle-ci finit par se déplacer pour constater les dégâts, elle consent à ce que les enfants nettoient, force essuie-tout à l'appui. Mais c'est toujours un jeu pour la petite bande ! La victime aimerait que les sales gosses aient honte mais Halley se range plutôt de leur côté...
Le ton est donné : Halley est une marginale, qui a sa conception, très spéciale, de l'éducation des enfants. Elle a élu résidence dans un motel dont on va suivre la vie en vase clos. Un gardien, Bobby, incarné par Willem Dafoe, tente de maintenir un semblant de discipline, oscillant entre fermeté et compréhension.
Halley a une amie, Ashley, qui lui donne en cachette de la nourriture du snack où elle travaille en échange de la garde de sa fille Scooty. Les copains de Monnee, outre Scooty, ce sont Dicky, un peu plus surveillé par son père qui le punit lorsqu'il va trop loin, et Jancey, gardée par sa grand-mère Stacy - la propriétaire de la voiture. Les quatre gamins sont les vrais héros du film, dont les 400 coups se succèdent. A un moment, Jancey parle à Moonee de l'école, où l'on peut s'amuser à la récréation ; "oui, mais ça ne dure que la récré" lui lance en substance l'enfant terrible. La vie dans le motel, c'est la récré permanente : on les voit s'introduire dans le placard électrique du motel pour y couper le courant (provoquant l'ire de toute la communauté), se faire payer une glace dont ils renversent la crème par terre, jouer à cache-cache dans le bureau d'un Bobby très indulgent, épier une vieille femme aux seins nus au bord de la piscine, et surtout mettre le feu à une bicoque abandonnée. Là, c'en est trop pour Ashley qui retire sa fille à Halley. Celle-ci n'est pas du genre à accepter docilement son sort : on la verra s'empiffrer dans le snack où travaille Halley puis frapper celle-ci au visage. Lorsque Bobby voudra la mettre dehors, elle viendra lui coller son tampax sur la vitre de son bureau. Classe, la fille.
Pour survivre, puisqu'elle s'est fait virer de son emploi de danseuse dans un cabaret, Halley commence à vendre des parfums dans la rue, efficacement soutenue par sa fille qui fait l'article. Puis arnaquer un type en vendant de faux "bracelets" donnant en principe droit à des prestations. Enfin se prostituer, n'hésitant pas à introduire les clients dans sa chambre alors que Moonee prend son bain... Trash jusqu'au bout des doigts de pied tatoués. Halley n'hésite pas à utiliser sa gamine pour obtenir un prolongement de ses hébergements, où elle ne tarde pas à devenir indésirable. Insouciante, irresponsable, égoïste, mais aussi proche de sa fille : on la voit dans plusieurs scènes jouant avec elle. N'est-elle pas elle-même une métaphore de l'Amérique, droguée aux excès en tous genres ? De même que sa fille Moonee, qui ne connaît pas de limite à ses caprices ? L'affiche nous les montre toutes deux, Halley tirant la langue comme une gamine et Moonee dans un caddie. Tout est dit.
Evidemment, tout cela va mal finir car aux US il y a des services sociaux. Mais on n'est vraiment pas chez Ken Loach : le ton de Sean Baker est bien plus loufoque. S'il dénonce, bien sûr, la folie de la société américaine, c'est par le biais des gamins. On croisera ainsi un couple en voyage de noces, dont la femme, brésilienne, désappointée devant l'endroit, exige de son nouveau mari qu'il trouve autre chose : c'est l'accueil insolent que lui ont réservé les mômes qui suscite cette réaction. Le danger tournoie autour des enfants insouciants, figuré par un hélicoptère redondant. Un pervers rôdant autour des balançoires est éconduit par Bobby qui veille sur la marmaille. Les punaises de lit sont une autre menace dans ces chambres à la limite de l'insalubrité. On se bat dans la rue. D'autres apparitions sont plus heureuses, comme ce troupeau de hérons peu farouches surgi là comme par miracle.
Tout cela se déroule sur fond de Disneyland, puisque le parc d'attraction jouxte ce motel dont il constitue l'envers du décor : couleurs criardes, constructions atroces, univers publicitaire. Bobby est chargé de donner le change en repeignant régulièrement la façade de ce cache-misère. Un arc-en-ciel ou un feu d'artifices viennent parfois aider à enchanter l'endroit. Un arbre renversé invite à la rêverie.
Ce ton original est servi par une mise en scène toujours judicieuse : la caméra à l'épaule n'est utilisée qu'avec parcimonie, de même que les gros plans (cf. celui sur Moonee au restaurant à la fin), certains plans larges sont superbes (par exemple, le travelling latéral sur un étage du motel faisant défiler la balustrade blanche sur fond mauve, ou encore cet arbre sous la pluie battante) et la scène finale, aux allures de jeu-vidéo, sert totalement le propos qui est une fuite artificiel vers le rêve pour Moonee et Jancey. Pas de doute, on a affaire à quelqu'un qui sait penser ses cadres.
L'émotion n'est pas absente de cette dinguerie : lorsque Moonee s'enfuit et va frapper à la porte de Stacy, cette dure à cuire craque enfin, tombant en larmes face à Jancey. Tout le film a préparé ce moment où Moonee accède enfin à son statut d'enfant, fût-ce dans le drame. Superbe.
De quoi donner envie de découvrir la Palme d'Or 2024, qui m'a fait découvrir cet auteur américain dont l'univers semble très singulier.
7,5
Créée
le 6 nov. 2024
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