The Florida Project s'ouvre sur un mur mauve bonbon contre lequel sont assis deux enfants. Commence alors l'une des plus belles séquences de cinéma de ces dernières années. Les enfants s'élancent à travers une banlieue sordide, non loin de Disney World, à Orlando, peuplée de démunis, - et passent de motels en motels pour aller cracher sur la voiture d'une nouvelle habitante : cris, insultes et rires se mêlent dans une joyeuse cacophonie. Là se joue et se trouve l'essentiel de The Florida Project, et peut-être du cinéma de Baker : la vie.


Cheffe de ce petit groupe de béotiens, Moonee - enfant gouailleur, cherche à passer le temps le temps d'un été en multipliant les bêtises. Campée à sa hauteur, la caméra suit son quotidien. Refusant tout misérabilisme, Baker cherche à retranscrire la transfiguration d'un quotidien morose par l'enfance, ici représentée par Moonee qui est au coeur du film. La misère sociale qui l'entoure ne se révèle que par petites touches, mais non moins puissantes pour autant : la figure de la mère en est exemplaire, puisque tout à fait ambigüe. Qu'on peut plaindre et détester autant de fois que possible. C'est dans les interstices du film - les scènes du bain, exemplairement - que s'opèrent une prise de conscience de la misère qui entoure Moonee.


Pendant deux heures, le film déplie ce projet, lentement et de façon parfois répétitive. Ce temps long est néanmoins nécessaire pour retranscrire pleinement le quotidien de l'enfant : l'ennui, le jeu, l'amour. Les acteurs, tous non-professionnels à l'exception de Dafoe, participent à ce surgissement de la vie, de l'imprévu. Dans ce surgissement de vie se trouve toute la beauté du film, ce sont des fragments qui, mis bout à bout, provoquent l'émotion la plus forte : la fuite en avant dans le réel.


Et c'est à la fin, alors que le réel semble rattraper la féérie enchantée de Moonee, que se déploie alors toute la force anarchique de l'enfance. C'est bien par la course que s'ouvre et s'achève The Florida Project. Refusant d'être saisie par DDASS, Moonee s'échappe par une course, inépuisable, dans le monde Disney : fin de l'enfance ou refus d'être rattrapé par le réel ; c'est en tout cas-là que surgit quelque chose comme la singularité de l'enfance : une naïveté lucide que la société a bien vite fait de leur confisquer.

augustinlmbrt
8
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le 17 déc. 2024

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Augustin

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