(ultra) Light my fire
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Ensorcelante, expressionniste, plongée toujours plus noire dans la folie du solitaire volontairement perdu en mer !
Au paradis ou en Enfer, cela dépend de ce que l'on se trouve sur terre ou en mer, les phares de l'art trépassés se sont donner un morbide rendez-vous, comme un sabbat de sorcière marin et littéraire. Voyants, les sens raisonnablement déréglés par les alcools, ils devisent et racontent une même histoire pour vaincre la nuit et le silence. Un dit de vieux marin tissé avec leurs différentes cordes de lyrisme, de mythologie, de rire gras, de spleen et d'airain.
Premier à entonner le chant des trompettes marines, c'est ce bon vieux Samuel Taylor Coleridge qui, troquant son autobiographie et sa suspension volontaire d'incrédulité contre un bon vieil Hoffmann, ressasse comme un ressac, atrocement, l'épisode de l'assassinat de l'Albatross: "J’avais commis une action infernale, et cela devait nous porter malheur. Tout le monde assurait que j’avais tué l’oiseau qui faisait souffler la brise ! « Ah ! le misérable ! disait-on, devait-il tuer l’oiseau qui faisait souffler la brise ?» (...) Ah !… hélas ! quels méchants regards me lançaient jeunes et vieux ! À la place de mon arbalète, l’albatros était suspendu à mon cou." Mais, hélas, cette fois, l'albatross n'était qu'une mouette rieuse.
Tandis qu'il gémissait cela, Jules Verne et Robert Louis Stevenson, à ses côtés, hululaient un canon venu de 20 000 lieues sous les mers, du plus profond du creux de la vague. Et Wagner dans son coin, râlait une complainte du Hollandais Volant.
Pour radoucir l'ambiance morose, Andersen et Waterhouse se mirent à dessiner des sirènes mais Füssli, ce bougre de cochon de coquin, aussi s'en vint et leur prêta des bouches concupiscentes et des regards vicieusement rieurs. Les sirènes devinrent des sorcières, ce qui plut à Robert, qui prit la chose en notes.
Sur ces entrefaites, entra, tonitruant, Samuel Beckett qui susurra: "Ils attendent, ils attendent les vieux marins ! L'un est un homme, l'autre est un chien ! Comme Lucky et Pozzo !"
Et Paul Valéry de ponctuer d'un rire poli avant de regarder à nouveau le large tourmenté: "Ah ! La mer, la mer, toujours recommencée !"
Robert Eggers, attentivement, notait toutes les pépites, des plus pertinentes aux plus incongrues, de cette rencontre entre les grands esprits. Il ne voulait en perdre une miette. Mais une main palmée, couverte d'écailles, se posa, ferme, sur son épaule. Effrayé, il leva la tête pour se trouver nez à nez avec le Dieu des Mers ! Une sorte de Pierrot fou, d'Arlequin ivre, se mit à hurler à la cantonade: "Que Neptune te foudroie, Eggers ! Oyez, Tritons, oyez et mugissez ! Priez notre père, Roi de la mer, de laisser sa fureur obscure surgir des grands abysses, que la vagues houleuses pleines d'écumes impures envahissent cette bouche de bave nauséabonde pour l'étouffer !" Et Neptune, l'air grave, ajouta: "Oublie, pauvre mortel, oublie ce que tu as entendu ici ! Cette histoire n'est pas pour les simples d'esprits, elle appartient aux Dieux ! Si tu la rapportes aux hommes, tu finiras comme Prométhée: sur le sable, le foi dévoré par des aigles !" ...
... ou des mouettes !, pensa Robert Eggers en s'éveillant de son étrange cauchemar.
Sortant un bloc note, il commença à écrire The Lighthouse en pensant: "J'ai là de quoi faire une ensorcelante, expressionniste, plongée toujours plus noire dans la folie du solitaire volontairement perdu en mer !"
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Créée
le 2 janv. 2020
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