"The Mist est donc un tournant dans la carrière d'adaptateur en série de Darabont : elle tranche avec ses précédentes oeuvres par son côté ouvertement surnaturel. Les habitants d'une petite ville du Maine se retrouvent bloqués à l'intérieur d'un supermarché alors qu'une mystérieuse brume s'est abattue sur la ville. A l'intérieur de cette brume, des monstres versés dans l'art de déchiqueter, découper, mordre et brûler à l'acide... La novella (entendez par là une histoire trop longue pour être une nouvelle, trop courte pour être un roman, comme l'était The Shawshank Redemption) a été publiée pour la première fois en 1980 dans l'anthologie Dark Forces, et a immédiatement attiré l'attention de Darabont : il voulait en faire le sujet de son premier film. Ce n'est toutefois qu'en octobre 2006 que le projet passe sous la houlette de Dimension Films, spécialisée dans le film de genre.
The Mist est plus "musclée" que ses précédentes réalisations. Les malheureux civils luttent à coup de torches enflammées et de barricades de sacs de croquettes contre des monstres qui aimeraient bien les dévorer tout crus. Le budget réduit a poussé Darabont à aborder une posture plus "documentaire" : il a fait appel à l'équipe de The Shield pour filmer "sur le vif", et ça se sent. On recadre, on zoome, on tremblote : le plan "fixe" n'est pas l'apanage de The Mist. Si les monstres manquent un peu de réalisme (surtout au niveau des ombres et des interactions avec des objets réels), ils bénéficient d'un design impeccable et assez inédit dans ce genre de production (mention spéciale aux affreuses araignées cracheuses de toile acide, qui possèdent des pattes en trop, terminées par des pinces, et un visage dérangeant qui évoque celui d'un primate). On est loin du réalisme des Evadés ou même de la Ligne Verte. Le film, de par son sujet, et ce qu'il en montre, bat les sentiers de l'horreur, du surnaturel et de la science-fiction.
Si Darabont s'éloigne donc, dans la forme, de ses précédentes réalisations, il n'en oublie pas moins le fond de l'histoire du King ; quand on y réfléchit, si The Mist surprend dans sa filmo, il a pourtant sa place aux côtés des Evadés et de la Ligne Verte, à sa manière. Le film se concentre sur David Drayton, père modèle, prisonnier avec son fils à l'intérieur du supermarché. Drayton est d'abord dérouté par la situation, comme tout le monde. Il attire la sympathie : lorsqu'une mère affolée demande de l'aide (car elle veut sortir chercher ses enfants, restés tous seuls à la maison), parmi ceux qui refusent, il est le seul à avoir une bonne raison (il doit prendre soin de son fils). Plus tard, il commence à prendre les choses en mains, pressentant qu'il y a bel et bien quelque chose dans la brume, comme l'affirme le vieux Dan Miller. Lorsque les occupants du supermarché se rassemblent lentement en trois groupes distincts, David est celui qui a conscience de la dangerosité des monstres (en opposition à son voisin Brent Norton, rationnel jusqu'au bout, qui s'enfonce dans la brume, persuadé qu'elle est innoffensive) et de la dangerosité des êtres humains (les partisans qui se rallient à Mrs Carmody, vieille folle qui ne jure que par la Bible, affirme que ce qui leur arrive est une punition de Dieu et qui organise des sacrifices pour "apaiser" les monstres). David Drayton est le personnage que le spectateur considère comme immuable, attaché à ses valeurs tout en étant conscient de la situation, et décidé à s'en sortir. La fin, modifiée par Darabont avec la bénédiction de Stephen King, est donc d'autant plus noire, glaciale et ironique.
Les monstres sont perdus dans la brume, et seuls ceux qui pénètrent dans le supermarché sont clairement visibles. Mais il y a d'autres monstres à l'intérieur, et c'est là le sujet principal de The Mist : la façon dont les gens vont réagir face à la peur. Des américains moyens, civilisés, piégés, menacés par des monstres indicernables, régressent peu à peu, s'en remettent à celle qui selon eux détient le pouvoir de les sauver : celle qui parle avec Dieu, celle qui trouve une explication (divine) à ce qui arrive, celle qui propose une solution (même si elle passe par le meurtre de plusieurs d'entre eux). The Mist critique le puritanisme américain, le recours constant à la religion face à un problème donné, mais il explore surtout les sentiers cachés de la peur. Darabont explique : "Rien ne me terrifie plus que ce que les gens sont capables de se faire les uns aux autres et c'est exactement ce dont il est question dans ce film. Stephen King disait que cela trouvait un écho à notre époque, mais je pense que c'est quelque chose d'intemporel."
Le film a été moyennement reçu. On a critiqué notamment sa réalisation, qui certes se distingue par son approche plus télévisuelle mais qui reste inventive et originale. Darabont comptait même filmer en noir et blanc (la version NB est présente sur le double dvd). Il a utilisé une pellicule 400 ASA Fujifilm pour conserver un grain particulier à l'image (ce même grain que jamais le numérique, malgré ses qualités indéniables, ne parviendra à rendre). L'interprétation est selon moi impeccable : elle ne verse pas dans le tragique et colle à l'action. Quand j'entends des critiques pointer du doigt le jeu "faible" des comédiens, j'ai parfois l'impression qu'ils en oublient la façon dont ils réagiraient, eux, en pareille situation. Je trouve le calme et la retenue de Thomas Jane parfaitement adapté à la situation dans laquelle est plongée son personnage, y compris durant la scène finale. Si je devais pointer un bémol, ce serait plutôt l'intégration des monstres dans l'environnement, comme je l'ai dit plus haut. Mais pour une série B, il faut avouer qu'ils sont plutôt bien réussis."