J'ai vu ce film dans des conditions un peu particulières (enfin, non, pas particulières mais plutôt différentes de mon habitude) : en me rendant au cinéma pour aller voir la cérémonie de clôture du Festival de Cannes rediffusée, le programme indiquait la projection d'un film "surprise" suite au palmarès. J'y suis donc allée, par cette chaleur accablante du mois de mai, en priant de toutes mes forces pour que 120 Battements Par Minute soit le film surprise.
Manque de bol, après l'heure de palmarès (c'est approximativement à ce moment-là que je me suis rendue compte que la salle n'avait pas de clim et que ça devenait complexe), le nom du film est dévoilé : The Square, la Palme d'Or venue tout droit de Suède. Je ne connais rien dessus, hormis la durée : 2h22. Commence alors le film, un petit OVNI de Stockholm avec des acteurs que je ne connaissais pas, une bande-son éclectique autant qu'électrique, et une intrigue qui, si elle ne m'est pas apparue comme étant limpide dès la sortie de la salle, tient pourtant la route et mérite d'être creusée.
Le film, parlons-en ! Un homme, Christian, père divorcé et conservateur de musée d'art contemporain, se retrouve confronté à différents problèmes qui lui tombent dessus un beau matin : on lui vole son portable et son portefeuille (et ses boutons de manchette), il couche avec une femme comme ça, par hasard, et ses community managers deviennent un peu tarés en proposant un clip de l'exposition du musée ultra-choquant. Durant ces deux heures et demi, nous observons un homme, un peu paumé mais surtout doux, intelligent, drôle parfois (quoique, ce sont surtout ses interlocuteurs, notamment ses deux collègues, qui sont drôles). Le film raconte donc une tranche de vie d'un quadra dynamique CSP ++ dans une Suède ultra-technologique, truffée d'iPhone et de géolocalisation.
Le film pose aussi une autre problématique, moins personnelle mais bien plus profonde : où s'arrête l'art ? Est-ce qu'une performance ultra-violente qui détruit tables et verres est-elle de l'art ? Des tas de gravier disposés par terre, accompagnés d'un néon "you have nothing", sont-ce de l'art ? Un clip ultra-choquant (aidé d'une façon "déroutante" par un mécanisme qui m'a fait penser à Seul contre Tous de Gaspar Noé) avec une enfant qui explose est-il un moyen d'attirer vers l'art ? Ce sont les questions que pose le film, qui suit le Square, une oeuvre "conceptuelle", de l'arrivée de l'idée à la mise en place de l'exposition.
Si l'intrigue n'est pas particulièrement prenante, l'esthétique remonte totalement le niveau du film (et ma note, par conséquent). En effet, à une lumière ultra-léchée (très nordique, qui m'a fait penser à mon bien-aimé Jongens de Mischa Kamp) s'ajoute un sens de la composition des cadres à couper le souffle. Les barres d'immeuble, les paliers, les escaliers (auxquels on ajoute un travelling circulaire plutôt anxiogène) et les portes de maison, toutes ces lignes, ces cadres dans le cadre, rendent le film agréable à regarder et un plan m'a particulièrement frappée : celui où Christian fouille désespérément les poubelles de l'immeuble, avec la pluie qui le surplombe. Référence à Jacques Demy, et au générique pluvieux des Parapluies de Cherbourg ? Je ne sais pas, mais je sais que j'ai apprécié l'esthétique du film, à la fois lumineuse et sobre, précise et foutraque, contemporain et intemporel à la fois.
Si je ne m'attendais pas à voir ce film inattendu gagner la Palme d'Or et si j'espérais plutôt d'Almodovar de distinguer 120 Battements Par Minute, j'en suis assez heureuse et j'espère que, grâce à ce prix, il disposera d'une grande distribution (fait assez rare pour le cinéma suédois).