Après l'impétueux (et excellent) Coup De Torchon, le réalisateur Bertrand Tavernier décide de rétrograder en matière d'émotions fortes pour s'offrir une petite récréation et adapter le roman Monsieur Ladmiral Va Bientôt Mourir de Pierre Bost.

Dans l'histoire de ce vieil homme du début du XXe siècle qui sent la mort approcher et qui vit désormais de dimanche en dimanche en attendant la visite de ses enfants, un fils bien trop conventionnel et une fille qui rue à 100 à l'heure dans les traditions bien établies, on peut comprendre tout ce qui a pu séduire Tavernier au sein de ce projet : l'occasion d'aborder un nouvel univers où l'une de ses obsessions cinématographiques, en l’occurrence la solitude d'un être, puisse être dépeinte avec élégance et grâce.

Depuis le décès de sa femme, monsieur Ladmiral vit seul avec sa domestique. Vieux peintre sans génie, il reçoit chaque dimanche la visite de son fils Gonzague, toujours accompagné de sa femme et de ses trois enfants. Un fils que monsieur Ladmiral méprise un peu de par sa banalité et avec qui il ne sait pas communiquer. Ce dimanche en particulier, l'arrivée de sa fille, Irène, une jeune femme en avance sur son temps qui chamboule perpétuellement les traditions, va donner de la joie à monsieur Ladmiral. Comme si cette tornade de vitalité faisait reculer sa mort...

Irène, c'est Sabine Azéma. Déterminée, volontaire, enthousiaste, débridée, expansive, agaçante, elle secoue en moins de temps qu'il ne faut pour le dire la torpeur d'une famille assoupie dans des habitudes particulièrement ennuyeuses. Et de ce personnage qui pourrait être le point d'orgue ingénue du mal-être familial, Tavernier nous en dévoile la face obscure où tristesse et soumission prennent le pas sur un incessant paraître. L'opportunité ainsi de cerner au plus près les personnalités dans un univers où s'affrontent les petites aigreurs de la vie quotidienne, les blessures et les plaisirs de chaque instant qui finissent par emplir une vie et qui, lorsque sonne l'heure du bilan, pèsent bien plus lourd que les grands évènements. La possibilité aussi de capter simplement le frémissement de l'air et de la lumière.

Tavernier possédait réellement cet art des choses banales, même si, pour peindre cette simplicité, j'aurais préféré d'avantage d'abandon et un peu moins d'application de sa part. Ce rejet du classicisme qui lui permettait de hisser des œuvres tels que Le Juge Et L'Assassin ou encore Que La Fête Commence... au firmament des classiques du cinéma français. Un Dimanche À La Campagne, lui, se déroule sans hâte, sous une forme de douceur teintée de gravité, avec une coquetterie où perce indéniablement une nostalgie baignée d'ennui.

Alors bien sûr, ce Tavernier-là, qui remporta le prix mérité de la mise en scène lors du Festival de Cannes en 1984, reste mineur face aux propos ambitieux et habituels du cinéaste qui savent si bien faire vibrer la corde des émotions fortes. Mais on peut aussi partager le plaisir et la mélancolie qu'il a soigneusement (dé)peint lors de cette récréation. Simplement.

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le 28 mai 2024

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